A l’occasion de la Biennale de Lyon 2022, l’un des rendez-vous les plus importants consacrés à l’art contemporain en France, la ville a confié la direction artistique à un duo de commissaires indépendants, le Libanais Sam Bardaouil et l’Allemand Till Fellrath.
Une programmation captivante
Intitulée « Manifeste de la fragilité », cette 16e édition de la Biennale de Lyon, qui a pour fil rouge la vie de Louise Brunet, l’une des ouvrières qui participa à la révolte des Canuts au XIXe siècle, résonne à travers l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Inutile de le nier : entre confinement, couvre-feu et distanciation sociale, la pandémie a révélé notre fragilité. Cette fragilité, Sam Bardaouil et Till Fellrath, tête pensante bicéphale de cette biennale, l’analysent comme « intrinsèquement liée à une forme de résistance, initiée dans le passé, en prise avec le présent et capable d’affronter l’avenir ». Pour en témoigner, ils ont réuni quelque 200 artistes internationaux et rassemblé des œuvres d’hier et d’aujourd’hui afin d’illustrer trois récits liés par le destin d’un personnage hors du commun : Louise Brunet.
Parce qu’elle avait participé au soulèvement des ouvriers de la soie, en 1831, la jeune femme fut jetée en prison. L’exposition du MAC Lyon « Les Nombreuses Vies et Morts de Louise Brunet » présente un corpus d’œuvres, peintures de Lucas Cranach, stèles funéraires romaines ou armures de samouraïs japonais, qui démontrent que « le corps, et ses diverses représentations, devient un lieu de réflexion, de deuil et de célébration ».
L’histoire, qui se poursuit avec la libération de Louise Brunet, en 1834, et son départ vers les usines de la soie du Mont-Liban, inspire « Beyrouth et les Golden Sixties ». L’événement retrace une période charnière pour cette cité située au carrefour de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique, avant la guerre civile et l’intervention israélienne : 34 artistes révèlent, dans plus de 230 œuvres, différentes formes de vulnérabilités, liées à la colonisation, au sexe, à la mortalité… Certains sont célèbres, tels Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, lauréats du prix Marcel Duchamp 2017, d’autres encore méconnus comme Huguette Caland (1931-2019) ou Nicolas Moufarrege (1947-1985).
Fille du premier président du Liban indépendant, Huguette Caland se libéra du joug des conventions pour incarner une figure du modernisme dont les tableaux abstraits et érotiques, notamment ceux de la série « Bribes de corps », dissimulent des éléments du corps féminin dans des paysages aux reliefs teintés de rose, d’oranger et de jaune. À l’instar de la créatrice, qui s’exila à Paris puis à Venice, quartier bohème de Los Angeles, c’est à New York que Nicolas Moufarrege s’installa pour créer « une broderie fondamentalement hybride ; ce n’est pas une tapisserie, ni une peinture, mais tout cela à la fois », selon le critique d’art Pierre Restany.
La carrière de ce brillant artiste, qui savait mêler avec brio art traditionnel oriental et art occidental, fut stoppée net par le sida et une mort prématurée. Dans son tableau ici montré, Le Sang du Phénix (1975), dominé par la couleur rouge sang, le poing de la révolution et le cèdre du drapeau libanais évoquent Beyrouth en temps de guerre, tandis que l’envol du Phénix sur fond de colonnes classiques suggère le renouveau.
Une œuvre qui permet une parfaite transition vers la troisième exposition d’envergure de cette biennale, « Un monde d’une promesse infinie », qui invite des artistes du monde entier à participer à « la construction d’un patchwork éclairant des moments de résilience face à de nombreux bouleversements sociaux, politiques et environnementaux ». Ayant investi les 29 000 m2 de l’ancienne usine Fagor, fleuron de l’industrie lyonnaise reconverti en friche culturelle, ils incarnent de multiples facettes de la fragilité, parfois par le sujet abordé, parfois par le médium utilisé.
Parmi eux, des têtes d’affiche internationales, quelques Français dont Clément Cogitore, Aurélie Pétrel, Nicolas Daubanes ou Julian Charrière (nommé au prix Marcel Duchamp 2021), et de belles découvertes comme Sylvie Selig, 81 ans ; son univers, composé de peintures monumentales et de sculptures de papier mâché, dessine un monde qui ressemble à une fable cruelle. Notre monde.
> Biennale d’art contemporain de Lyon. Dans différents lieux de Lyon et à Villeurbanne, jusqu’au 31 décembre. Labiennaledelyon.com