Much Untertrifaller, l’architecte du bois par essence

Rencontre avec l'architecte autrichien qui célèbre le bois dans l'ensemble de ses projets.

Depuis une trentaine d’années, l’Autrichien Much Untertrifaller œuvre au développement de la construction en bois pour tous types de bâtiments. La très récente « giga-architecture » du TUM Campus de Munich, conçue par son agence, atteste du formidable potentiel du matériau et est en couverture du hors-série architecture d’IDEAT n°23.

L’architecte autrichien Much Untertrifaller, cofondateur en 1994 de l’agence Dietrich Untertrifaller Architekten.
L’architecte autrichien Much Untertrifaller, cofondateur en 1994 de l’agence Dietrich Untertrifaller Architekten. Roberta Valerio

C’est le plus grand bâtiment en bois jamais construit en Europe ! Le 16 mai dernier était en effet inauguré, à Munich, le TUM (Technical University of Munich) Campus. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 185 mètres de long, 153 mètres de large, 15 mètres de haut, une surface d’exploitation de quelque 42 000 m2 où se répartissent 14 salles de sport, 12 amphithéâtres, 15 laboratoires, 5 ateliers, des bureaux, une cafétéria et une bibliothèque, le tout entièrement destiné au département du sport et du bien-être de cette université bavaroise et pensé par l’agence de l’architecte Much Untertrifaller.

Cette livraison tombe à point nommé avec le 50e anniversaire du Parc olympique voisin, conçu pour les Jeux olympiques de 1972 par l’agence Behnisch & Partner et dont la silhouette demeure un repère dans la capitale bavaroise. L’impressionnant porte-à-faux de 19 mètres du TUM Campus a tout pour le devenir à son tour. Pour ce nouveau complexe, c’est Dietrich Untertrifaller Architekten qui a remporté la mise. Le fait d’avoir été la seule agence à préconiser le bois comme matériau de construction, tout en restant dans une économie de moyens, a sans aucun doute été déterminant dans le choix du projet parmi la quarantaine de candidatures.

En quelques années, l’agence autrichienne, forte de quelques réalisations pour le moins exemplaires – le gymnase Alice Milliat à Lyon, ou, en Autriche, le Campus Omicron à Klaus et le Legero United Campus à Graz et plusieurs projets de maisons –, maintes fois distinguée par des prix, s’est affirmée comme l’une des références de l’architecture bois en Europe. Le passage récent de Much Untertrifaller, l’un des associés fondateurs de l’agence, à l’antenne parisienne était plus qu’opportun pour faire le point non seulement sur l’ouverture du TUM Campus, mais aussi sur les partis pris « bois » de cette agence étonnamment discrète.

Dans le haut de l’avenue de la République, Dietrich Untertrifaller Architekten occupe un ancien atelier d’artiste en double hauteur, situé au premier étage d’un immeuble sur rue. Une mezzanine recompose le volume, permettant à la quinzaine d’architectes présents de plancher sur les projets français : un lycée à Sartrouville, dans les Yvelines, un collège à Bretenoux, dans le Lot, un immeuble d’habitations pour jeunes travailleurs à Toulouse ou encore un complexe d’habitations près du Rhin, à Strasbourg. 

« Le choix d’un matériau doit dépendre avant tout de la nature du projet»

La maison DiBregenz de l’architecte Much Untertrifaller.
La maison DiBregenz de l’architecte Much Untertrifaller. Bruno Klomfar

« Nous sommes arrivés en France en 2010 avec un premier projet gagné à Nancy, avec l’ENSAD, puis d’autres se sont vite présentés, nous incitant à ouvrir un bureau pour être au plus proche de nos interlocuteurs. L’ancrage culturel est très important pour nous », explique Much Untertrifaller, qui fait régulièrement la navette entre Bregenz, la maison mère autrichienne, Vienne, Munich et Saint-Gall, en Suisse, où sont installées les autres agences qui regroupent quelque 120 collaborateurs.

Si l’histoire démarre en 1994 à Bregenz, d’où est originaire Much Untertrifaller, elle s’appuie sur une série d’expériences et de programmes mis en œuvre au cours de la décennie précédente. « Je suis parti faire mes études d’architecture à Vienne au début des années 80 où j’ai rencontré Helmut Dietrich. Avant même que je sois diplômé, en 1988, j’ai commencé à travailler d’abord avec mon père, puis avec Helmut sur certains projets. Lorsque nous avons remporté le concours pour le Festspielhaus, à Bregenz, en 1994, nous avons décidé de formaliser notre collaboration en créant notre propre agence, à laquelle sont désormais associés deux autres partenaires : Dominik Philipp et Patrick Stremler », explique-t-il.

Ce ne sont pas les opportunités de construire qui manquaient alors dans le Vorarlberg, le plus petit Land d’Autriche, situé à l’extrémité ouest du pays, entre la Suisse et l’Allemagne. « Nous avons profité d’un timing parfait, poursuit-il, grâce à une économie en pleine croissance dans la région et à une communauté d’architectes résolue à produire d’une manière plus respectueuse de l’environnement et des usagers. » En quelques années, les modalités de construction sont repensées et le recours au bois fait largement son apparition.

À Klaus, en Autriche, au sein du campus de la société Omicron, Dietrich Untertrifaller a imaginé une structure en bois de forme hyper-sculpturale.
À Klaus, en Autriche, au sein du campus de la société Omicron, Dietrich Untertrifaller a imaginé une structure en bois de forme hyper-sculpturale. Angela Lamprecht

D’abord sur des programmes de petite taille, des habitations notamment, qui vont permettre d’affiner les méthodes et les outils qui pourront ensuite être employés sur des structures de plus grande échelle. « Aujourd’hui, le bois représente de 50 à 60 % de nos réalisations, mais il ne faut pas non plus être dogmatique. Le choix d’un matériau doit dépendre avant tout de la nature du projet. Il n’y a aucun sens à ne pas faire un parking souterrain en béton », souligne-t-il en faisant allusion à celui qu’il exécute actuellement pour l’hôtel Rote Wand, à Lech (station de sport d’hiver située dans le Vorarlberg, en Autriche), dont il a également conçu plusieurs bâtiments en bois au cours des quinze dernières années.

D’ailleurs, le TUM Campus possède une partie de son ossature porteuse en béton, qui permet de gérer au mieux les questions sismiques, car ce point est d’autant plus sensible sur des édifices au déploiement horizontal aussi important. Mais l’usage ou non du bois ne va pas toujours de soi pour les non-experts. L’architecte témoigne qu’il assiste parfois à des réactions excessives dans un sens ou dans l’autre. « Pour s’inscrire dans un effet de mode, un commanditaire peut exiger que l’édification de son bâtiment soit en bois. Mais combien de projets sont ensuite reconsidérés faute d’une expertise suffisante de la part des parties prenantes qui, au final, reviennent à des modalités de construction plus conventionnelles ? » raconte-t-il. 

À l’épreuve du feu

Vue de l’intérieur de la «Maison B».
Vue de l’intérieur de la «Maison B». Bruno Klomfar

À l’inverse, par méconnaissance du matériau, il observe également souvent des réticences sécuritaires, évidemment par rapport au feu. « Pourtant, il faut savoir que le bois se consume de manière régulière, à raison de 2 cm par demi-heure, tandis que la réaction du métal, voire de la pierre, est totalement aléatoire face au feu. D’une certaine manière, un incendie est nettement plus contrôlable avec du bois, car il est relativement simple de prévoir, en amont, 2 ou 4 cm de matière supplémentaire sur des structures de tailles importantes sans que cela ne bouscule la ligne du projet. »

Surtout, le choix du bois offre de nombreux avantages au niveau de l’organisation des chantiers, notamment celui de pouvoir construire, sur des sites à l’écart, en amont, des éléments qui pourront ensuite arriver préfabriqués pour être assemblés dans un délai très court. « Le bois permet de réduire de manière substantielle le temps d’un chantier et le nombre d’ouvriers sur le site. En outre, c’est un matériau extrêmement précis. Les marges d’erreur sont de l’ordre du millimètre quand elles peuvent atteindre plusieurs centimètres avec le béton. Là encore, vous pouvez commander à l’avance les ouvrants à la juste mesure et vous économisez en conséquence les kilos de silicone qui trop souvent servent à boucher les trous ! »

Dans les environs de Bregenz, en Autriche, la maison SCH en bois et à la structure en béton se déploie à la manière d’un monolithe abstrait.
Dans les environs de Bregenz, en Autriche, la maison SCH en bois et à la structure en béton se déploie à la manière d’un monolithe abstrait. Bruno Klomfar

Cependant, la question du sourcing local est malheureusement un leurre dans lequel il ne faudrait pas tomber, même si le projet est réalisé dans une région boisée. À plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un bâtiment comme le TUM Campus, qui requiert autant de volume de bois. « Pour la construction du projet munichois, il n’y a en fin de compte qu’un seul fournisseur à s’être porté candidat. Car tout le monde n’a pas encore la capacité nécessaire pour sourcer le bois, parfois dans le monde entier, le stocker puis le mettre en forme avant de le livrer. Tant qu’il n’y aura pas suffisamment d’opérateurs équipés avec les bons outillages, on verra des stocks se promener à travers toute l’Europe. »

Il va sans dire que la guerre menée par la Russie en Ukraine a eu des répercussions négatives pas seulement pour le pétrole et le gaz, ces deux pays figurant parmi les fournisseurs de bois de premier plan. Au-delà des questions géopolitiques actuelles, qui frappent durement le domaine de la construction, Much Untertrifaller assure qu’il n’y a pas vraiment de désavantage à utiliser le bois plutôt qu’un autre matériau. « On peut tout à fait construire des immeubles de grande hauteur. Nous allons inaugurer cet été, à Toulouse, un immeuble de 11 étages et nous avons même dans les cartons une tour de 120 mètres de haut. Reste évidemment à trouver le commanditaire… Le plus grand obstacle aujourd’hui vient sans aucun doute du lobby du béton qui n’aide pas à aller à l’encontre des idées reçues. »

Un seul moyen pour lutter contre cela : l’éducation des futures générations d’architectes, mais aussi d’artisans, avec lesquelles il ne faut pas hésiter à partager les savoirs, ce que Dietrich Untertrifaller Architekten a d’ores et déjà pris à bras le corps à travers les très nombreuses conférences que l’agence dispense dans les universités et les écoles d’architecture.

> Dietrich.untertrifaller.com