C’est dans l’imposant écrin de la Bourse de Commerce qu’est exposé pour la première fois à Paris un ensemble de photographies de l’artiste japonais Nobuyoshi Araki. Intitulée Shi Nikki (Private Diary) for Robert Frank, cette installation inédite réalisée en 1993 fait à la fois écho à la mort d’Aoki Yoko – femme de l’artiste – et à Robert Frank, photographe avec lequel il partage l’expérience douloureuse du deuil.
Plongée intime dans le quotidien d’Araki
Cent unes photographies en noir et blanc capturées par l’artiste se succèdent sur les murs blancs de la Galerie 3 de la Fondation Pinault. Des scènes de vie, des natures mortes et des personnages défilent à mesure que les pas des visiteurs foulent l’espace d’exposition. Connu pour sa démarche autobiographique mêlant à la fois des scènes relatives à l’érotisme, au passage du temps ou encore à la ville, Araki développe une œuvre prolifique qu’il expose ou publie essentiellement de manière sérielle.
De sa formation initiale d’ingénieur puis de caméraman, il a conservé un mode opératoire méticuleux, prenant en compte ce qu’il l’entoure et le traverse tout en s’en détachant pour mieux le saisir. Dès lors qu’il s’empare de son appareil, le photographe n’a de cesse de vouloir enregistrer chaque fragment de sa vie, à mi-chemin entre documentation et fiction. Sans donner d’explication, il se contente de livrer un récit imagé dans lequel l’anecdotique et la mise en scène se mêlent.
En quête de l’être absent
Si la première photographie donne à voir une femme assise par terre posant frontalement, la main droite et l’œil recouvert de bandages, la dernière n’est qu’un ciel sombre, métaphorisant le néant. Entre les deux, la vie s’écoule. Les images semblent illustrer le passage du temps sur les vivants tout comme la blessure laisse place à la disparition et plonge ceux qui restent dans un chagrin sans fin.
Cette succession de clichés vient questionner l’image aussi bien en tant qu’outil de documentation du réel que comme vecteur de symboles. Par exemple, l’utilisation du nombre palindrome (101) pour présenter cette série évoque un dépassement, une tension vers l’infini tout en inscrivant l’ensemble dans une boucle répétitive et binaire : la vie puis la mort et ainsi de suite. Chacune des images porte d’ailleurs la date à laquelle elles ont été capturées, comme si Araki cherchait en les plaçant côte à côte à retracer le fil de son existence en désignant l’absence d’Aoki Yoko. Cette dernière, qui a joué un rôle déterminant dans sa pratique, avait déjà été l’objet de la série Sentimental Journey 1971-2017 dans laquelle, à l’inverse de Shi Nikki (Private Diary) for Robert Frank, elle apparaît.
Hommage commun
Pensées comme un rempart contre l’oubli et l’effacement des traces de l’existence de la femme qu’il chérissait, les photographies présentées dans le cadre de cette exposition oscillent donc entre présence et absence. Bien qu’il se replie sur sa mélancolie, Araki dédie la série au photographe Robert Frank (1924-2019) – éminent photographe américain -, qui a lui aussi perdu un être cher à la même période et confère au deuil une valeur universelle.
Le titre choisi par Araki tout comme les prises de vues, notamment celles effectuées dans l’espace urbain, rappellent la pratique à la fois documentaire et subjective à laquelle s’attachait Frank. À la recherche perpétuelle du potentiel narratif des images, les deux artistes ont en commun cette exploration du réel transcendée par leur propre individualité qui situe leur œuvre à la croisée du journal intime et du reportage.
> Exposition Nobuyoshi Araki, Shi-Nikki (Private Diary) for Robert Frank, du 8 décembre 2021 au 14 mars 2022 à la Bourse de Commerce, Pinault Collection.
> Pour aller plus loin, la MEP prolonge les réflexions sur l’intime, le quotidien et les relations amoureuses autour de l’exposition Love Songs dans laquelle certaines photographies d’Araki sont mêlées à celles de Nan Goldin, Lin Zhipeng ou encore René Groebli du 30 mars au 21 août 2022.