ETEL : l’éditeur ambassadeur incontesté du design brésilien

Fondée en 1985 par Etel Carmona, l'institution éponyme demeure discrète aux yeux du grand public mais fait figure de référence en matière de design brésilien. Moderniste ou contemporain, la maison œuvre pour perpétuer l'histoire d'un courant qui a failli disparaître mais qui brille aujourd'hui — en partie — grâce à elle. Rencontre avec Lissa Carmona, PDG de la marque et activiste passionnée déterminée à faire briller la culture de son pays.

Si chaque pièce éditée par ETEL demande à son acquéreur plus de douze semaines de patience avant réception, c’est parce qu’elle est encore produite à la commande et à la main. Sur les traces des plus grands designers modernistes (Oscar Niemeyer, Lina Bo Bardi, Jorge Zalszupin…) et aux côtés de figures contemporaines (Carlos Motta, Isay Weinfeld, Lia Siqueira…), l’éditeur brésilien a fait de la préservation du patrimoine créatif de son pays et de la promotion de ses talents sa raison d’être. Lissa Carmona a repris le flambeau allumé par sa mère, Etel, en 1985, et œuvre aujourd’hui avec passion pour faire du design brésilien un courant majeur.

Lissa Carmona. A gauche : console Raizes (Patricia Urquiola).
Lissa Carmona. A gauche : console Raizes (Patricia Urquiola). Filippo Bamberghi

IDEAT : En quoi le design brésilien est-il si particulier ?
Lissa Carmona : Le bois est réellement un des savoir-faire premier de notre pays. Au Brésil, il est charnel, plein de couleur, ludique aussi. Après la guerre, les designers brésiliens ont résisté et refusé d’industrialiser leurs méthodes. Ils ont donc continué à produire des pièces sculpturales et uniques, comportant des détails qu’aucune machine ne pourraient jamais reproduire — c’est cet héritage que nous perpétuons avec ETEL. Niemeyer et Giuseppe Scapinelli (designer italien ayant fui son pays et reconnu pour son style avant-gardiste, NDLR) sont des bons exemples en la matière : ils étaient des maniaques du détail.

« Le design brésilien est sensuel »

L’essence même du design brésilien est la sensualité dans sa première définition, c’est-à-dire liée aux sens. Pour comprendre nos meubles, vous avez besoin de les toucher, de goûter à leur douceur, à leurs aspérités. Parfois même de les sentir littéralement : le bois brésilien présente souvent des notes olfactives qui ont déjà inspiré des parfumeurs.

Un aperçu de l’exposition dédiée aux couleurs du design brésilien qui s’est tenue dans le showroom milanais d’ETEL en septembre 2021. A gauche : Tripeça Chair (Daciano da Costa). A droite : banc Marquesa (Oscar Niemeyer), tapis Penta (Daciano da Costa), fauteuil Alta (Oscar Niemeyer).
Un aperçu de l’exposition dédiée aux couleurs du design brésilien qui s’est tenue dans le showroom milanais d’ETEL en septembre 2021. A gauche : Tripeça Chair (Daciano da Costa). A droite : banc Marquesa (Oscar Niemeyer), tapis Penta (Daciano da Costa), fauteuil Alta (Oscar Niemeyer). Filippo Bamberghi

Comment est né ETEL ?
Ma mère, Etel Carmona, a fondé son entreprise il y a 35 ans. Ne trouvant rien d’intéressant à son sens sur le marché de l’ameublement, elle a commencé l’aventure simplement en produisant des pièces pour sa maison. Il faut rappeler qu’à l’époque, le Brésil était sous régime autoritaire à la suite d’un coup d’État, menant les frontières à se boucler et le pays à se refermer sur lui-même, perdant son identité. Dans les années 1980, tous ces sublimes meubles — je parle des œuvres de Joaquim Tenreiro, de Jorge Zalszupin, même d’Oscar Niemeyer — sont tombés dans l’oubli pour être remplacés par un design conformiste inspiré des Etats-Unis et de l’Angleterre, importé ou copié.

« ETEL est né de la simple envie de ma mère de redécorer sa maison »

Ainsi, pour parfaire la décoration de notre maison, ma mère s’est plongée dans les archives du genre, en fouinant dans des boutiques de vieilleries — on ne parlait pas encore de « galeries » ou de « vintage » — et dans des maisons d’enchères. Elle achetait des pièces anciennes qu’elle rénovait, s’initiant ainsi aux gestes des artisans de l’époque et aux techniques traditionnelles, comme la marqueterie, les assemblages de bois… Son savoir-faire s’aiguisant, elle est devenue une designer autodidacte, a fait produire ses premières pièces dans un atelier local et a ouvert sa première boutique. Elle a rapidement édité le travail d’autres designers, d’abord contemporains, à l’image de Claudia Moreira Salles, en continuant d’utiliser les techniques des années 1950.

De gauche à droite : fauteuil Tres Pes (Lina Bo Bardi), sofa Cubo (Jorge Zalszupin), tables basses Raizes (Patricia Urquiola).
De gauche à droite : fauteuil Tres Pes (Lina Bo Bardi), sofa Cubo (Jorge Zalszupin), tables basses Raizes (Patricia Urquiola). Filippo Bamberghi

Et puis le Modernisme s’est invité chez ETEL…
J’ai rejoint la société au début des années 1990. J’ai commencé à faire des recherches et à étudier le design moderniste brésilien, une tâche ardue tant la littérature était pauvre à ce propos. Rendez-vous compte, à l’époque, personne ne parlait de Niemeyer ou de Zalszupin ! Le premier livre à propos du design moderniste au Brésil a été publié en 1993 et inauguré dans notre galerie… En 1994, une illustre famille est venue toquer à notre porte pour nous proposer de « rééditer » les pièces de son designer patriarche. Il faut d’ailleurs souligner qu’à cette époque, personne ne rééditait : le mot n’existait même pas ! J’ai donc créé une méthodologie pour rendre hommage à l’artiste et redémarrer une production main dans la main avec sa famille.

« La réédition n’existait même pas ! »

Par la suite, nous avons ensuite remis au goût du jour le travail de Branco & Preto (un collectif d’architectes avant-gardiste des années 1950), celui de Gregori Warchavchic (designer prolifique dans les années 1920) et, bien sûr, l’œuvre colossale et passionnante de Jorge Zalszupin, Polonais d’origine ayant adopté le Brésil comme terre d’accueil après la guerre. J’ai eu la chance de travailler avec ce grand Monsieur pendant plus de vingt ans…

La Alvor Chair par Daciano Da Costa, rééditée par ETEL.
La Alvor Chair par Daciano Da Costa, rééditée par ETEL. ETEL

Quelle est la philosophie d’ETEL ?
Nous développons plusieurs axes de développement. Tout d’abord, nous créons des collections — je dis « collection » car il s’agit d’une histoire dont le scénario s’écrit avec beaucoup de précaution, dont les protagonistes sont triés sur le volet et feront partie de la famille pour toujours. Deuxièmement, nos rééditions sont toujours soumises au contrôle du designer lui-même, de sa famille ou de la fondation qui se fait le garant de son héritage. Enfin, bien que nous sommes une société, donc forcément vouée à produire et vendre, je considère notre rôle d’ambassadeur du design brésilien comme très important. Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour mettre en lumière cette culture unique et la préserver à tout prix, au même titre que le savoir-faire unique de nos artisans.

Où en est ETEL aujourd’hui ?
ETEL est aujourd’hui partout ! Et c’est une grande fierté. Nous sommes en Chine, à Vancouver au Canada, ici à Milan où l’on se parle aujourd’hui (cette interview s’est déroulée dans le cadre de la Milan Design Week 2021, NDLR). Nos pièces ont fait la couverture du New York Times, du ELLE China. Plus récemment, nous avons ouvert les pages de notre catalogue à des designers sans apparents liens avec le Brésil, comme Patricia Urquiola et Daciano da Costa, mais qui comprennent et adoubent notre savoir-faire. Avec eux, nous regardons vers le passé et vers le futur simultanément, en cherchant à créer avec des méthodes traditionnelles mais avec en tête des préoccupations très actuelles. Nous avons par exemple imaginé avec Patricia une desserte en bois d’Amazonie éco certifié façonné par nos artisans coiffé d’un plateau d’aspect marbré mais en réalité sculpté dans une nouvelle matière faite de résidus de canne à sucre.

A gauche : la table roulante Cascas de Patricia Urquiola. A droite : fauteuil R (Zanine Caldas).
A gauche : la table roulante Cascas de Patricia Urquiola. A droite : fauteuil R (Zanine Caldas). Filippo Bamberghi

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