Guy-Claude Agboton et Marie Godfrain

Portraits : Les 12 maîtres du design japonais contemporain (2/2)

Suite de notre panorama des douze plus grands designers japonais contemporains, entre artisanat et industrie.

7/ Keiji Takeuchi, la simplicité comme sophistication

Fauteuil Moa de Keiji Takeuchi.
Fauteuil Moa de Keiji Takeuchi. DR

Keiji Takeuchi, 43 ans, ne fait et n’énonce que des choses très précises. Spontanément, on se dit que c’est très japonais. Il explique à IDEAT que, dans son pays, sa pratique est un travail comme un autre, mais pour lequel l’apprentissage est une notion capitale. Selon lui, ses compatriotes font du design pour devenir des maîtres de leur discipline, exactement comme le font les artisans. Quand, en 2018, l’éditeur français Michel Roset l’a rencontré pour le solliciter, il lui a dit : « Vous avez un regard intéressant. » Keiji Takeuchi avait déjà travaillé pour Herman Miller, Living Divani, Boffi, DePadova, Cruso ou E’Interiors au Japon. Il a quitté son pays à l’âge de 15 ans pour étudier pendant une décennie en Nouvelle-Zélande. Il est aussi passé par l’ENSCI, à Paris. Au Japon, il a collaboré sept ans durant avec Naoto Fukasawa, avant de s’installer à Milan pour piloter, de 2012 à 2019, les travaux européens du grand designer. Dans l’actuel chapitre de sa vie en solo, il a déjà tout d’un maître. G.-C.A.


8/ Jun Aizaki, la crème de la crème

RedFarm à Covent Garden, à Londres, un restaurant conçu par Jun Aizaki.
RedFarm à Covent Garden, à Londres, un restaurant conçu par Jun Aizaki. Tristan Wilkhu / Creme

Au début des années 90, Jun Aizaki quitte le Japon pour compléter son cursus en architecture au Pratt Institute, à New York. Après ses études, il trouve un poste de designer au sein du Rockwell Group, spécialisé dans les hôtels haut de gamme. Cinq années plus tard, en 2003, il choisit de fonder son propre studio, Crème, pour lequel il imagine des intérieurs chaleureux, d’abord aux États-Unis puis, plus récemment, à Doha, où il a signé le Park Hyatt. Son sens du détail typiquement nippon fait des merveilles, qu’il conçoive une chaise teinte en différentes nuances d’indigo ou signe un fast-food à Manhattan ou à Londres. Dernièrement, il s’est aussi distingué avec son projet « Gourds », des plantes à croissance rapide produisant chaque saison des fruits à la peau très dure qui, une fois vidés, deviennent des contenants étanches. En les faisant pousser dans des moules, Crème crée des tasses et des bouteilles 100 % écologiques puisqu’elles sont recyclables et affichent un bilan carbone exemplaire. M.G.


9/ Koichi Futatsumata, le Japonais international

Banc Kiulu de Koichi Futatsumata (Artek).
Banc Kiulu de Koichi Futatsumata (Artek). DR

Koichi Futatsumata est à la tête de pas moins de deux studios ! Il dirige donc Case-Real, implanté à Fukuoka et qui s’est spécialisé dans l’aménagement intérieur, ainsi que sa propre agence tokyoïte, qui donne plutôt dans le design de produits. Après des études d’ingénierie et d’architecture à l’université de Kyushu, il a démarré sa carrière au seuil des années 2000 en mettant ses connaissances en matière de design au service d’espaces intérieurs et de la création de mobilier. Des débuts qui lui attirent rapidement les faveurs de la presse nationale et internationale. Son travail est présenté au VIA, à Paris, mais aussi dans une exposition hommage à Dieter Rams, à San Francisco. Depuis, il s’est forgé un style singulier qui se traduit par des projets d’aménagement jouant sur la matérialité, comme le marbre et la pierre de la boutique Aesop, à Sapporo. Il collabore en parallèle avec des éditeurs japonais ou étrangers, tels les Belges de Valerie_objects, pour qui il a conçu des couverts géométriques. M.G.


10/ Tokujin Yoshioka, lumière et matière

Maison de thé en verre Kou-An, de Tokujin Yoshioka, ici installée devant le National Art Center, à Tokyo.
Maison de thé en verre Kou-An, de Tokujin Yoshioka, ici installée devant le National Art Center, à Tokyo. © TOKUJIN YOSHIOKA + TYD

Aux frontières de la technologie, de la scénographie, du design et de l’architecture, Tokujin Yoshioka livre un univers à la fois très japonais par son épure et très personnel, loin des clichés. Il marie travail du verre, de la lumière et des textures, pour des clients aussi variés que Cartier, Hermès ou Kartell. Après avoir étudié pendant de nombreuses années auprès de Shiro Kuramata (1934-1991) et d’Issey Miyake, avec lequel il collabore depuis plus de vingt ans, il ouvre en 2000 son propre studio. Parmi ses dernières réalisations, la torche olympique pour Tokyo 2020, en aluminium rosé, inspirée des cerisiers en fleur ; le très glamour tabouret Blossom, pour Louis Vuitton ; ou des tables basses Fountain en verre épais très texturé, comme de la glace en train de fondre, pour Glas Italia. M.G.


11/ Shuji Nakagawa, l’héritage remasterisée

Indigo Table de Shuji Nakagawa et OeO Studio (Les Ateliers Courbet).
Indigo Table de Shuji Nakagawa et OeO Studio (Les Ateliers Courbet). © NAKAGAWA MOKKOUGEI

La ville de Kyoto cultive une longue tradition d’ébénisterie, et Shuji Nakagawa incarne la nouvelle génération de cette tradition millénaire. Il s’est de longue date spécialisé dans une typologie très japonaise : le seau en bois utilisé dans les bains, dont il adapte la forme classique aux usages contemporains. Il collabore fréquemment avec des designers, pour donner naissance à des seaux à champagne ou des tabourets, autant qu’avec des artistes comme Hiroshi Sugimoto. Ses créations sont exposées dans de prestigieux musées d’arts appliqués à travers le monde (le V&A, à Londres, le MAD, à Paris…) et, en 2017, il a fait partie, grâce à ses plateaux en cèdre aux motifs délicats et hypnotiques, des finalistes du Loewe Foundation Craft Prize, qui récompense les meilleurs artisans d’art. L’année suivante, il a travaillé avec le designer français Johan Brunel autour d’une collection de seaux qui rapproche les traditions finlandaise et japonaise en matière de bains. M.G.


12/ Keiji Ashizawa, le design social

Commode Sutoa de Keiji Ashizawa (Frama).
Commode Sutoa de Keiji Ashizawa (Frama). DR / KIM PETERSEN

Si Keiji Ashizawa s’est lancé dans le design et l’architecture en 1996, c’est seulement quinze ans plus tard qu’il a commencé à faire parler de lui. À la suite de la catastrophe de Fukushima, en 2011, le créateur est revenu sur les lieux du drame, à Ishinomaki, où il avait dessiné le magasin d’un client. Diplômé d’architecture de l’université nationale de Yokohama (dans l’agglomération de Tokyo), le quadragénaire est un adepte du principe du « design honnête ». Lui vient alors l’idée de créer un atelier permettant aux habitants de réaliser des petits travaux avec des matériaux et des outils fournis par des designers tokyoïtes. Outre cette activité, il collabore avec Karimoku New Standard, Frama, Muji, IKEA ou Panasonic, et multiplie les projets de design et d’architecture en travaillant sur la lumière ainsi que les chantiers d’aménagement, où il s’appuie sur l’artisanat. Parmi les plus récents, un ensemble de mobilier sur mesure pour Karimoku Case Study, développé l’an dernier dans un style « japandi » avec les Danois de Norm Architects. Keiji Ashizawa vient de dévoiler une collection en bois d’inspiration Shaker pour Ishinomaki Laboratory, et l’éditeur danois Menu va produire, à partir du printemps, son bureau d’appoint Rail Desk. Une première en Europe dont on peut espérer qu’elle débouchera sur d’autres aventures occidentales. M.G.