Évoquer l’architecture et ses enjeux dans un format rappelant une (bonne) série télévisée tient de la gageure. Surtout quand ladite série se découvre en apnée au fil d’un dédale architectural ! Le personnage central de l’installation, Amos, est un architecte occidental, quinqua et du style sûr de son génie. Il est interprété par une convaincante marionnette tout droit sortie du feuilleton anglais des sixties Thunderbirds (Lady Penelope en VF). Dans son bureau empli de livres et de mobilier moderniste, Amos se lamente non sans arrogance sur le rejet de ses idées par les usagers de ses architectures. Il ne comprend vraiment pas qu’on ne vive pas heureux dans ses créations. La série en trois épisodes fait ensuite découvrir plusieurs des habitants du bâtiment phare d’Amos. Tandis que ces derniers listent tout ce qui ne va pas dans leur environnement et mine leur existence, ils vont arrêter de subir ce bâti qui les entoure et prétend vouloir leur bien-être mais sans jamais recueillir leur avis.
Pour visionner la série, il faut déambuler dans le bâtiment du FRAC Lorraine. L’installation rappelle tranquillement que nul n’est forcé de croire à l’architecture comme source de progrès pour le monde. Au fil de la déambulation, l’idée se faufile qu’il est difficile d’échapper aux planifications des architectes dès lors que l’on vit dans un tissu urbain et social. Et quand le mécanisme de l’architecture se grippe, Amos estime que c’est la faute des habitants qui n’ont pas compris le lieu. L’idée que l’échec d’un projet architectural puisse menacer quand on ne prend pas en compte l’avis de ses futurs usagers ne l’effleure jamais.
Un cataclysme menace
Cécile B. Evans se fait ainsi entomologiste de personnages égarés dans un biotope urbain. Elle pointe leurs émotions, pas simplement des marionnettes comme Amos l’architecte mais aussi de vrais comédiens qui expriment pour certains ce qu’ils ressentent dans un anglais (sous-titré) de voix off monocorde. Les habitants de l’immeuble construit par Amos finissent par se révolter non pas contre l’architecture mais contre un système de pouvoir plus général dont ils ressentent les effets au quotidien.
Film vidéo, éléments de tournages exposés comme des sculptures, architecture dans laquelle le visiteur s’installe… Cécile B. Evans a pendant trois ans utilisé différents supports pour évoquer la façon dont le pouvoir et la domination sociale sont conditionnés par l’architecture. L’artiste nous fait réaliser à quel point notre rapport à l’espace (privé) et aux objets de notre entourage est conditionné par les environnements créés par des architectes. Les histoires racontées sont « volontairement complexes », nous dit l’artiste. Il y a de l’étrange aussi, un cataclysme menace, une secrétaire devient mythomane, des fleurs rejoignent une organisation terroriste. Devant ce léger désordre, nous recommandons au visiteur de se mettre mentalement à l’aise, un peu comme s’il s’immergeait dans un film de David Lynch.
> « Amos’ World » de Cecile B. Evans au 49 NORD 6 EST – Frac Lorraine. 1 bis, rue des Trinitaires, Metz. Jusqu’au 26 janvier 2020.
> A voir également au Frac Lorraine Degrés Est : installation de l’artiste Juliette Mock inspirée par les jambes masculines.
> Et au Centre Pompidou Metz, jusqu’à fin janvier : Eisenstein, l’œil extatique, Opéra Monde, la quête d’un art total, Roni Horn…