« L’architecte écrit toujours sur les traces de quelque chose. Mon travail se fait dans la ville qui, elle, n’est jamais complète, jamais finie, avec l’idée de rebondir sur ce qui existe déjà. Architecte DPLG, urbaniste, scénographe, designer, graphiste, restaurateur : les gens s’interrogent sur mon éclectisme mais, moi, j’essaie juste d’être au bon endroit au meilleur moment », s’amuse Marcelo Joulia, dont l’énergie tentaculaire n’est pas à une hybridation près. La dernière en date s’appelle Tondo, restaurant parisien qu’il vient de reprendre avec le jeune chef italien Simone Tondo.
D’ici quelques jours, son magasin de cycles, Marcelo Bike, ouvrira rue de Cîteaux. On est dans le quartier d’Aligre, dans le XIIe arrondissement de Paris, son fief depuis toujours. C’est là que, jeune diplômé en 1988, il fonde son agence Naço, « intuition » en guarani, réminiscence d’une enfance argentine insouciante passée sur les rives du Paraná, à grimper dans les arbres pour y construire des cabanes ou à creuser des galeries souterraines.
Après le divorce de ses parents, quand il a 12 ans, la vie se fait fleuve moins tranquille. Avec ses quatre frères et sœur, il passe d’un milieu bourgeois scolarisé en institut privé catholique à une débrouille sans le sou en classe technologique à l’école publique. « Tous les après-midis, on allait en atelier. Pour moi, c’était une révélation d’apprendre la menuiserie ou la fonte d’aluminium », résume-t-il. Ce sera là son premier ressort, la chance de transposer le négatif en opportunité. Comme, quelques années plus tard, de devoir quitter l’Argentine en vingt-quatre heures, à la veille du coup d’État.
Pour sa mère, devenue professeure en sociologie, militante engagée, accueillant chez elle un creuset d’intellectuels s’opposant à la junte de Videla, urgent sera l’exil. « Arriver en 1976, à 17 ans, sans connaître un mot de français, au pays des droits de l’homme alors que Renzo Piano construit Beaubourg, c’était magique ! » S’ensuivent la fac de Vincennes, terreau de libertés, puis l’Ensa UP6 (école d’architecture de la Villette), aux côtés de Nicolas Magnan et d’Alain Renk, qui deviendront ses premiers associés au sein de Naço.
Hyperactivité mondialisée
Mais c’est dans le quartier d’Aligre que l’asador (le « maître du feu » option grill argentin) monte Unico, un premier restaurant de viande, et l’épicerie El Galpon, puis Cien Fuegos, une librairie pour ceux qui lisent la langue de Cervantès. « Quand j’ai monté le projet Unico, j’ai découvert un local extraordinaire, une ancienne boucherie magnifique dans son jus 70’s avec plein de choses intéressantes. Il n’y avait qu’à conserver, adapter et ajouter ma sauce », explique aujourd’hui le conducteur de centaines de projets sur trois continents.