Consciente de ses forces comme de ses faiblesses, la cité balnéaire sait se réinventer sans se trahir, forte de son histoire et d’initiatives locales inspirées. Une relève très incarnée par de nouveaux entrepreneurs originaires de la région et soucieux de leur territoire se dessine au cœur du mythe, été après été. Sous le soleil exactement. Pas à côté, pas n’importe où. La rédaction vous dévoile ses adresses fétiches pour un week-end à Saint-Tropez.
Une ville mythique
«Il ne manque plus qu’une autoroute et ça va devenir Miami, ici ! Il n’y a plus que des boutiques de luxe ! Saint-Tropez, je n’y mets plus les pieds. Et puis, ils sont en train de tuer l’âme de Pampelonne. C’est toute une époque qu’ils vont foutre en l’air », se lamentait Brigitte Bardot dans un hebdomadaire en 2019. On ne peut donner tort à cette égérie hors norme, ultime témoin d’une période bel et bien révolue. Elle qui, par sa beauté insolente, aura grandement contribué à l’élaboration du mythe.
À ceci près que ce n’est pas Miami, mais plutôt l’avenue Montaigne qui grignote le petit port varois et le transforme, doucement mais sûrement, été après été, en XXIe arrondissement parisien. Avec la jauge des followers et des likes pour remplacer les paparazzis.
Il y a bien longtemps que la bohème n’est plus, quand le Tout-Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre rejoignait Boris Vian dans son bar de nuit improvisé au pied de La Ponche, le caboulot des pêcheurs. Il y a bien longtemps que s’est évanoui le parfum de liberté et de robinsonnade torride, celui que Vadim fixa à jamais sur la pellicule de Et Dieu… créa la femme, avec une BB éprise d’un jeune premier nommé Jean-Louis Trintignant.
Bien loin les photos argentiques de Willy Rizzo où la jeune Françoise Sagan, dandy au féminin, déboulait à fond la caisse au Club 55 pour une partie de gin-rami avec Juliette Gréco. Bien loin le Saint-Trop’ où le topless était la norme et faisait le comique de la saga des Gendarmes. Vadim a choisi de reposer au cimetière marin depuis déjà vingt ans. Eddie Barclay l’a suivi. Jean-Louis Trintignant vient de quitter la scène.
Que reste-t-il de ce Saint-Tropez-là, sinon la nostalgie d’un âge d’or ? Pourtant, aujourd’hui, derrière le quai d’honneur blindé de yachts au luxe climatisé, c’est toujours la même lumière dorée qui fascina Paul Signac. Le peintre navigateur, arrivé de Bretagne via Sète et le canal du Midi, écrivait en 1892 : « L’ocre des murs fait pâlir celui des villas romaines. J’ai là de quoi travailler pendant toute mon existence. » De quoi largement justifier un week-end à Saint-Tropez.
Chez lui, Matisse peindra le célèbre Luxe, Calme et Volupté. Derain, Bonnard, Marquet, Dufy, Vuillard, Vallotton, Van Dongen et Picabia suivront. Le Saint-Tropez des peintres était né. Alors, pour retrouver une trace de ce paradis perdu, que l’on soit blindé ou fauché, mieux vaut éviter l’été pour un week-end à Saint-Tropez. Début octobre, après la ferveur nautique des Voiles – l’événement qui réunit chaque année des centaines de bateaux –, plus de bruits d’hélicoptères, plus d’embouteillages, la capitainerie redescend le tarif des anneaux, les locaux ont la banane, ils ont mouillé le maillot des mois durant et peuvent se permettre de souffler en faisant quelques emplettes à la grande braderie, qui solde les invendus.
Le village reprend ses esprits, la surenchère retombe. Il suffit alors de pousser la porte du musée de l’Annonciade, d’admirer les toiles des néo-impressionnistes, des nabis et des fauves qui en firent don de leur vivant à cette ancienne chapelle, devenue un petit bijou de l’art moderne. Puis il faudra s’écarter du port et prendre les ruelles autour de la place de l’Ormeau, monter à la citadelle, vieille de quatre siècles, y embrasser la vue immense sur le golfe clair. Depuis la minuscule plage de la Ponche, on suit le sentier du littoral jusqu’à la petite plage suivante, celle des Graniers.
À peine trois kilomètres au ras des rochers et au son entêtant des cigales, une eau turquoise et limpide entre les pins parasols et les bambous que couche parfois un mistral trop fort, nous voilà dans la baie des Canebiers. Un paysage délicieux que la grande Colette, au mitan de sa vie, partageait avec ses amis artistes, peintres, musiciens, acteurs, auteurs, venus de Paris la rejoindre à La Treille Muscate, la maison qu’elle achète en 1925 et où elle écrit : « Rien n’est pareil à ce golfe, à ces terres heureuses, à leur verdure sans effort. »
Week-end à Saint-Tropez place au soleil
Gentleman sportif abonné aux Voiles, libraire en mal de prix littéraire défricheur, star en goguette, capitaine d’industrie reclus dans sa villa ou simple campeur en quête de soleil et d’azur, dans ce grand parc d’attractions de luxe niché entre paysage à la beauté sauvage et village de carte postale, le profil type n’existe pas. L’espace nous manque pour raconter la tyrannie des ego à laquelle se livrent les marques de luxe, à coups de chefs étoilés, de cafés couture et de vestiaires pailletés de falbalas exorbitants.
Pourtant, d’Arnaud Donckele, chef de La Vague d’or et du café Dior des Lices, à Mory Sacko at Louis Vuitton, pop-up estival du White 1921, l’hôtel élitiste de la place des Lices, les trajectoires impressionnent. Sur la presqu’île, même la carte des vins, rosés en l’occurrence, prend des allures de bataille on the rocks pour gagner une place à l’ombre des pins lors d’un week-end à Saint-Tropez. À la tête de leurs groupes de restauration respectifs, Laurent de Gourcuff et Benjamin Patou rejouent, entre Paris et Saint-Tropez, leur énième partie de poker.
Quand Gigi, le noceur italien de Paris Society, vient faire le beau à la plage, Moma Group riposte avec le Cipriani, à deux pas de la place des Lices, une copie de l’enseigne vénitienne, propriété du groupe hôtelier Belmond racheté par LVMH. Les locaux, eux, leur préfèrent des spots plus authentiques, cachés dans les dunes ou dans les vignes, plus discrets aussi. Justement, il est encore temps de prendre du recul, à la découverte des pépites dont regorge la région. Un isthme de sable qui s’élance vers une presqu’île boisée.
Étrange profil que celui du cap Taillat ! Petit massif rocheux couvert d’un bouquet de pins maritimes et de garrigue et, à l’arrière, sur le relief accidenté du littoral, d’un bois de pins parasols. Frontière naturelle entre La Croix-Valmer et Ramatuelle, cet espace remarquable, où flore et faune sont protégées, partage l’espace marin en deux baies adorables. Un lieu d’une immense beauté, abrité quel que soit le vent. Et puis, un peu plus loin dans l’arrière-pays varois, on ira voir le Domaine du Muy, le parc de sculptures contemporaines que le galeriste Jean-Gabriel Mitterrand et son fils Edward entretiennent en intelligence avec la nature.
Niché dans une forêt méditerranéenne, sauvage et préservée – Louis Benech en est le paysagiste et l’architecte India Mahdavi a réinventé la maison de style faussement provençal –, le lieu révèle au gré d’un parcours de deux kilomètres une trentaine d’œuvres géantes signées des plus grands noms de l’art contemporain comme d’artistes émergents. On reviendra par Gassin, charmant village médiéval, où Armel Soyer vient d’ouvrir une maison-galerie consacrée au design de collection.
En fin de compte, Saint-Tropez n’aura que peu connu la crise. Hormis une saison 2020 biaisée, la pandémie l’aura même rendue bankable. Alors que les frontières européennes et les boîtes de nuit restaient fermées, le petit port varois continuait à danser. L’irrépressible besoin d’air et de liberté qui a suivi les confinements successifs n’a fait qu’accroître son aura de fête. Et ni le port du masque par 35 °C ni l’obligation du pass sanitaire n’auront freiné la fréquentation de la destination la plus m’as-tu-vu de France.
À l’instar de Thierry Bourdoncle, autre serial-restaurateur parisien qui a racheté le légendaire café Sénéquier il y a dix ans, de nouveaux challengers marquent leur territoire. Le bling-bling est devenu ringard, l’ambiance se veut plus chill, quoique portée par une relève locale qui entend bien mettre les bouchées doubles. Leur mur en pierre sèche, à l’entrée de l’Indie Beach, leur a coûté un bras. Aussi ne sont-ils pas peu fiers de poser devant pour la photo ! À eux trois, Raphaël Blanc, Tobias Chaix et Vincent Luftman incarnent une génération d’entrepreneurs aux antipodes de l’atmosphère des années 90 voyantes et friquées et des douches au champagne de La Voile rouge.
En 2016, après avoir vaguement bourlingué entre Tulum, Ibiza et Bali, le trio se fait la main à coups de pop-ups dans les établissements tenus par leurs familles. Place des Lices, le café de boulistes devient la taquería Pablõ : tacos, mezcal, boules à facettes disco et DJs back-to-back (mix en duo), ça commence fort et ça finit tard. À Playamigos, la carte libano-grecque les pieds dans l’eau met tout le monde d’accord. Chalet hôtelier à Megève l’hiver, ligne de sweat-shirts, collaboration avec la Mini Moke qui passe à l’électrique, la joyeuse bande distille du cool dans le local. Dernier fait d’arme, ils viennent de racheter le très convoité Café de l’ormeau, à Ramatuelle. Une adresse incontournable lors d’un week-end à Saint-Tropez !
A Saint-Tropez, la plage du futur
En lançant un ambitieux plan de « plage du XXIe siècle » à Pampelonne, destiné à rééquilibrer son exceptionnel environnement naturel, la mairie de Ramatuelle rebattait les cartes et attisait les appétits. Exit les « paillotes » et concessions négociées au cas par cas d’année en année, place à une réglementation exigeante des deux côtés du cordon dunaire, à la protection de l’écosystème (prairies de posidonies, tortues d’Hermann…), aux circulations douces et aux ânes comme auxiliaires de nettoyage. Un enjeu de taille quand on sait qu’entre les caps Pinet et Bonne Terrasse, la fréquentation estivale peut monter à 30 000 têtes par jour !
Pendant douze ans (2019-2030), les 23 lots attribués, dont certains à des hôtels de luxe (La Réserve Ramatuelle, Le Byblos, Airelles…) sont autorisés à construire leur château de sable, plus concrètement à investir dans une logistique aussi éthique que coûteuse, capable de laisser la plage sur ses 4,5 kilomètres de long vierge de toute activité commerciale de novembre à mars. Certes, les temps changent et l’esprit des lieux avec, mais accompagner ce changement reste une nécessité. On songe au bon mot de Serge Gainsbourg, qui disait : « Le snobisme, c’est une bulle de champagne qui hésite entre le rot et le pet. » Saint-Tropez, je t’aime… moi non plus.
> Pour plus d’activités à découvrir lors d’un week-end à Saint-Tropez, rendez-vous sur le site de l’Office du Tourisme.