Une visite chez Vista Alegre, à Ílhavo, à 80 km au sud de Porto, constitue bien entendu une très belle occasion de mieux connaître les secrets de fabrication de la plus ancienne manufacture de porcelaine du pays, fondée en 1824 par José Ferreira Pinto Basto. Mais c’est aussi celle de prendre la mesure de l’incroyable modestie et de l’ouverture dont font preuve les Portugais.
En effet, l’entreprise a beau être le fleuron du groupe Vista Alegre Atlantis (VAA, numéro 6 mondial dans les domaines de la porcelaine, du cristal, du verre et de la céramique pour les arts de la table), arriver sur le site de production donne plutôt l’impression de débarquer sur une petite place de village de carte postale.
Ici, pas de logo, mais des platanes, une chapelle baroque du XVIIe siècle, Nossa Senhora da Penha de França, et des maisons blanches aux fenêtres soulignées d’ocre jaune, dans lesquelles vivaient jusqu’à il n’y a encore pas si longtemps une partie des ouvriers – elles accueillent dorénavant les designers en résidence.
Pour Augusto Ferreira Pinto Basto, fils du fondateur, ce fut Erasmus avant l’heure puisque son père l’envoya étudier la composition de l’argile à la Manufacture de Sèvres, en France, afin de percer les secrets de fabrication de la porcelaine.
À son retour, la découverte, au nord d’Ílhavo, de gisements de kaolin – un des trois composants de la porcelaine, avec le quartz et le feldspath – fit le reste et permit à Vista Alegre de délaisser la production de verre de ses débuts au profit de la porcelaine.
Aujourd’hui, la manufacture emploie 700 personnes, dont environ 500 dans l’unité de production. En découvrant les lieux, on commence par apprendre qu’il y a, ici, trois façons distinctes de travailler la porcelaine.
La première, destinée aux créations de formes irrégulières, consiste à couler de la pâte liquide dans des moules en plâtre. Selon la complexité de la pièce, trois moules différents peuvent être nécessaires.
La deuxième s’appuie sur l’utilisation de la pâte solide pour modeler des détails, comme des roses sur un couvercle de théière, par exemple.
La troisième, adaptée à tout ce qui est plus simple et sériel – les assiettes, notamment, entrent dans cette catégorie –, repose sur le recours à une pâte finement granuleuse, d’une texture proche du sable.
La neutralité chromatique des pièces qui ne sont pas encore passées en cuisson ni à l’émaillage crée un nuancier paisible et raffiné, allant du blanc cassé au beige rosé.
À la fois précis et fluides, les gestes des employés ont des allures de chorégraphie, et il règne, dans cette succession de vastes salles où la lumière naturelle coule à flots, une atmosphère de surprenante douceur.
Le parcours se poursuit dans l’aire d’émaillage, une opération qui peut être automatisée ou manuelle. Là aussi, la dextérité du geste qui accompagne la pièce dans le bain laiteux est fascinante. Puis on traverse la zone clé de la cuisson et des tunnels de refroidissement – tout aussi importants –, avant d’arriver à l’espace, situé au-dessus du musée, où les designers en résidence IDPool ont leur studio collectif.
Dernière étape, et non des moindres : l’atelier de peinture, où, d’un coup, la couleur laisse éclater sa joie, du motif le plus graphique au plus décoratif.
À l’issue de la visite, on comprend mieux pourquoi Jaime Hayón, Marcel Wanders, Patrick Norguet, Sam Baron, Arik Levy, Humberto et Fernando Campana, Christian Lacroix ou Ross Lovegrove n’ont pas résisté à l’appel de la collaboration avec Vista Alegre, car tout rêve de designer semble pouvoir se concrétiser à Ílhavo.
Et lorsque l’on sait que le groupe VAA prévoit qu’à l’horizon 2025 l’exportation représentera plus de 80 % de ses ventes, on comprend mieux aussi pourquoi le programme de résidences IDPool est une plate-forme win-win. «Vista Alegre a toujours collaboré avec des artistes, explique Alda Tomás, directrice créative de l’entreprise, également responsable du programme de résidences. IDPool est né de la conviction qu’il serait bénéfique de mieux structurer cette pratique. Activer un tel levier est essentiel pour devenir plus international et s’ouvrir à d’autres connaissances, que celles-ci soient d’ordre culturel, technique ou créatif. D’ailleurs, plusieurs anciens résidents, comme Manuel Netto et son collectif d’alors Form, Coline Le Corre ou Mendel Heit, ont créé des collections qui ont intégré le catalogue de Vista Alegre et sont de vrais succès. » Et la boucle est bouclée !