Une fascination toujours réelle
Au Centre de documentation (Dokumentationszentrum) de Prora sont actuellement exposées une partie des plans, qui ont reçu lors de l’Exposition universelle de 1937 à Paris le grand prix d’architecture, ainsi qu’une maquette du projet. Mais pas seulement. S’y découvre également une exposition permanente sur la réalité du national-socialisme. Marco Esseling y travaille : « Je suis toujours étonné de la fascination qu’exerce Prora sur les Allemands. Certes, il reste, avec le Reichsparteitagsgelände de Nuremberg (ou « territoire du congrès du Reich », un très grand complexe dans le sud-est de la ville, NDLR), le plus vaste ensemble architectural légué par le IIIe Reich. Pourtant, il n’a été imaginé par les nazis que pour amadouer et embrigader les ouvriers ! L’architecture parle pour elle avec son côté monumental, ses alignements sans fin, la salle des fêtes centrale, prévue pour les manifestations de masse. »
« L’individualisme y est réduit à sa plus simple expression avec des chambres de 15 m2, équipées d’un haut-parleur qui diffuse des messages. Les repas devaient se prendre à heure fixe, dans des restaurants prévus pour 1 000 personnes. Les activités et les loisirs se pratiquaient en groupe. Au final, ce projet n’avait pour but que de faire de la chair à canon saine et vigoureuse. Mais non, les gens viennent visiter le lieu, car la propagande a visiblement atteint son but : faire croire que le national-socialisme avait de bons côtés ! », poursuit Marco Esseling. Le Dokumentationszentrum s’est donc donné pour mission de casser ce mythe à travers des expositions et des conférences.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, le complexe n’est pas terminé. Les huit blocs sont achevés, mais pas le reste des infrastructures. Et puis l’heure n’est plus aux vacances… « Quand Hitler a pensé ce complexe, il préparait déjà la guerre, précise Marco Esseling. La taille des chambres, les lits en fer, les longs couloirs rectilignes, les ascenseurs… Tout cela permettait de transformer facilement les lieux en hôpital militaire ! » Ce qu’il advint. En 1943, Prora accueille les rescapés des bombardements des Alliés sur Hambourg et, en 1945, les réfugiés de l’Est, les Allemands des Sudètes fuyant l’avance des troupes de l’Armée rouge.
Pour rejoindre Prora, ils ont embarqué sur les deux « paquebots du peuple » construits par l’organisation des loisirs nazie, mais seul le Robert Ley a regagné Rügen. Le Wilhelm Gustloff a été envoyé par le fond par un sous-marin et, avec lui, ses 5 000 passagers. Après 1945, l’île passe sous domination soviétique et Prora est décrétée zone militaire. En 1952, le complexe devient une caserne de l’armée est-allemande (la Nationale Volksarmee). Y séjournent 15 000 soldats. C’est là que sont formés à l’art de la guerre froide et de la subversion les officiers venus des quatre coins du monde communiste (Cuba, Angola, Viêt Nam, Corée du Nord…). Zone interdite au public, Prora disparaît alors des cartes, même si la CIA connaît parfaitement son existence.