A Milan, les vitrines des boutiques de mode de la Via della Spiga attrapent le regard des passants comme le feraient de mini-décors de théâtre. Ces vitrines sont souvent d’un raffinement exubérant. Si ce genre existe aussi à Paris où à Londres, il prend toujours ici, entre la via Manzoni et la via Borgospesso, un air audacieux. Comme si toutes ces enseignes de luxe se disaient : pas de vitrine sans stylisme. Sauf que ces boutiques sont fermées et le restent sous la menace de nouvelles restrictions sanitaires. En voyant ces vitrines vides, l’entrepreneur Lorenzo Lombardi et la photographe Valentina Angeloni les ont envisagées en potentiels espaces pour des installations artistiques. Ainsi est né Viavai (Visiting Installation Art), une exposition confiée à la serial curatrice milanaise Federica Sala.
Cette dernière a investi jusqu’à la fin du mois de mars quatre boutiques de la Via della Spiga, où les curieux peuvent mesurer l’habilité de l’art à occuper et à qualifier l’espace. « Viavai est un projet d’appropriation culturelle urbaine. Il amène l’art contemporain dans les vitrines de la via della Spiga, vidées par la pandémie. Voir toutes ces boutiques de mode fermées et vides, cela fait assez peur. Je ne sais pas si c’est le cas ailleurs, à Paris par exemple, mais ici, cela attriste les gens », commente Federica Sala. Effectivement, Milan sans la créativité des industries de la mode et du design, ce n’est plus vraiment Milan…
Le casting de Viavai est large…
Aux créateurs donc de rappeler également toute l’importance de la culture comme pourvoyeuse d’émotions, même vue de derrière une vitre. Le casting de Viavai est large. L’artiste et designer française Nathalie du Pasquier montre tout le potentiel chromatique de sa collection de céramiques conçue pour l’éditeur Mutina. Son installation Per Marisa, ultra graphique, ressemble à un théâtre de marionnettes. Elle est dédiée à l’entrepreneuse Marisa Lombardi, qui tenait autrefois à cet emplacement une boutique dont l’intérieur avait été conçu par Ettore Sottsass.
Au numéro 48, l’artiste minimaliste allemande Regine Schumann, a placé des cubes aux contours fluo dans une scénographie à la lumière bleu Klein, en partie grâce à des filtres posés sur les vitres. Au mur, on trouve des cadres et des miroirs aux contours également habillés de couleurs vibrantes. Un dédale bleu dans la pénombre comme une promesse de se perdre.
L’art au tapis
Tout près, Lorenzo Vitturi, bien qu’artiste, rappelle dans sa vitrine à quel point le tapis est devenu central dans les salons modernes, notamment accroché au mur. Ses tapis Jugalbandi (un double solo de musicien en hindi) forment une réponse à l’invitation au Rajasthan de l’éditeur Jaipur Rugs. L’artiste s’est inspiré des installations au pragmatisme créatif que l’on voit voit souvent surgir dans la vie quotidienne des Indiens. Il a demandé à cinq artisans locaux d’être plus créatif que technique dans leur travail avant de lui-même puiser à son studio vénitien dans les collections de fragments et d’éléments, des filets nigériens ou des textiles péruviens. Le résultat met l’art au tapis avec des tapisseries comme autant d’OVNI.
Enfin, pour compléter Viavai, le duo de créateurs italo-japonais Gianluca Malgeri et Arina Endo expose pour la première fois l’évanescente finesse de leur sculpture sur le thème du jeu. Le plus stimulant pour les organisateurs de la manifestation, c’est l’idée que la culture elle-même n’est pas complètement bloquée en attendant le retour de la création, mode ou art. Tant que les propriétaires de boutiques seront partants, l’exposition peut se déplacer et se renouveler, essayant à son échelle, d’instiller de l’émotion dans le tissu urbain.
> Infos sur le compte Instagram @via.exhibit