Bien souvent, le fabricant de meubles Rosello et l’éditeur de tissus Pierre Frey se sont retrouvés sur les mêmes chantiers, le deuxième couvrant les fauteuils et canapés du premier dans des hôtels, restaurants et autres projets de décorateurs… Le tissu d’ameublement quittait les ateliers de tissage de Montigny-en-Cambrésis (Nord) pour rejoindre la fabrique de meubles de Villers-Cotterêts (Aisne), où les fauteuils étaient tapissés.
Il y a quelque temps, Patrick Frey, à la tête de la maison de tissu, apprend par des connaissances communes que Rosello est à vendre : « J’ai été séduit par l’idée de ce rachat pour un tas de raisons objectives. D’abord, nous avons de nombreux clients en commun, mais surtout nous partageons la même culture : les deux maisons familiales sont dirigées par la troisième génération, nous basons notre réussite sur les savoir-faire et nos collections sont fabriquées en France », énumère-t-il. Si les deux frères à la tête de Rosello ont été déçus de ne pas avoir pu transmettre leur affaire à leurs enfants, ils ont aussi été soulagés de la céder à la maison Pierre Frey, évitant ainsi une liquidation ou une vente à un acheteur étranger, naturellement moins attaché au savoir-faire et au devenir des vingt salariés qui perpétuent un travail qualitatif du bois.
Preuve que la passation de pouvoir se déroule en douceur, Florent Rosello va rester en appui pour assurer une transmission fluide. « Pour nous, dit Patrick Frey, c’est une opportunité. En effet, nous éditions déjà quelques meubles, dont nous sous-traitions la fabrication ; nous allons désormais pouvoir en contrôler davantage la production et les intégrer au nouveau catalogue. » Ce sera d’autant plus le cas que la fabrique, implantée au cœur de forêts de hêtres, est toute proche de Paris, où se trouve le siège de Pierre Frey. « Une heure en train depuis la gare du Nord et quelques minutes de marche suffisent pour arriver à la manufacture », se réjouit Patrick Frey.
Ce rachat s’inscrit aussi dans une stratégie de développement de la marque. « Nous voulions augmenter le nombre de clés d’entrée dans la décoration. Notre catalogue comporte déjà du papier peint, de la moquette, des tapis… Mais pour collaborer avec l’hôtellerie, faire du meuble, c’est un atout supplémentaire. Car le contract haut de gamme est un levier important de développement de la marque et Rosello possède un savoir-faire intéressant en la matière. Ils ont par exemple breveté un système de renfort des chaises, indispensable dans le CHR (cafés, hôtellerie, restauration, NDLR), où celles-ci sont soumises à rude épreuve. Observez le nombre de personnes qui se balancent sans cesse sur leurs chaises… », relève Patrick Frey.
Parmi les nombreux chantiers communs meublés de Rosello ces dernières années, on peut citer les hôtels Le Meurice, Le Royal Monceau, Adèle &Jules ou le restaurant Les Cocottes, de Christian Constant, à Paris, ou Le Coq Rico à New York. « Rosello avait su s’adapter aux clients, aux différentes approches, au sur-mesure. J’ai par exemple dessiné des meubles pour Adèle & Jules que la maison a su développer. J’ai aussi choisi des meubles dans leur catalogue que j’ai customisés, modifiés et ensuite couverts de tissu Pierre Frey. Cette flexibilité simplifie grandement la vie des décorateurs et des architectes », explique Stéphane Poux, le décorateur de cette adresse du IXe arrondissement parisien.
Sa consœur, Sandra Benhamou, avait elle aussi décoré l’hôtel Castelbrac, à Dinard, en Bretagne, avec la complicité de Rosello et de Frey. « J’avais dessiné tout le mobilier, une banquette pour le bar, des petites chauffeuses arrondies, j’y ai ajouté les poufs cerclés de laiton de Rosello et des têtes de lit. C’était une très belle collaboration. J’avais apprécié leur professionnalisme et la fabrication française. J’ai rencontré à Villers-Cotterêts une équipe très impliquée avec qui j’ai pu multiplier les prototypes, les ajustements. C’est grâce à eux que chaque chambre a pu bénéficier d’une tête de lit différente, ce qui participe au caractère unique de cet hôtel », raconte la décoratrice dont l’aventure avec Pierre Frey se poursuit : « J’ai été ravie d’apprendre que Frey avait racheté Rosello. Cela va donner une meilleure visibilité aux collections, encore un peu confidentielles, qui seront accessibles au plus grand nombre, notamment aux particuliers. Surtout, cela va nous simplifier la vie puisque nous pourrons choisir mobilier et tissus au même endroit et passer ainsi une seule commande. »
Une nouvelle aventure à laquelle la décoratrice va participer, car ses meubles dessinés pour le Castelbrac, sa petite chauffeuse notamment, vont rejoindre le catalogue. En rachetant Rosello, c’est en effet que s’offre la maison de tissu. D’ailleurs, ce qui a achevé de convaincre Patrick Frey de réaliser cette opération, ce sont les 200 modèles de sièges qui composent ce fonds.
Après un état des lieux et un élagage, un certain nombre de modèles classiques et contemporains vont intégrer le nouveau catalogue sur lequel travaille l’équipe de Pierre Frey et auquel de nouveaux modèles maison seront ajoutés. « Nous travaillons d’arrache-pied sur ce catalogue qui sortira au printemps 2019 et promet d’être éclectique, comme l’est déjà notre ligne de tissus. L’idée, c’est de nous ouvrir aussi aux particuliers. Pour cela, nous allons transformer l’un de nos deux showrooms de la rue de Furstemberg (Paris VIe) en boutique de meubles, que nous avons dévoilée au moment de Paris Déco Off, en janvier dernier », révèle Patrick Frey, pour qui cette nouvelle division meubles n’est en fait qu’un retour aux sources.
En effet, alors qu’il travaillait à la monographie consacrée à son grand-père, le décorateur-ensemblier René Prou (René Prou, entre Art déco et modernisme, d’Anne Bony, Norma Éditions) –, Patrick Frey est tombé sur un papier à lettres dont l’en-tête annonçait : « René Prou, meublier »… Alors qu’il n’est pas encore décidé sur l’appellation à donner à sa collection (le nom Rosello demeurera, mais sera une division de la gamme de meubles), il pourrait reprendre à son compte cette signature et la baptiser « Pierre Frey, meublier », un bel hommage aux origines de cette aventure familiale.