Ils ont la trentaine et sont bien décidés à se singulariser de l’uniformité de bon aloi. Depuis 2019, les membres du collectif pluridisciplinaire Uchronia, menés par Julien Sebban, posent leurs teintes acidulées et leurs lignes régressives sur des scénographies joyeuses, des restaurants, des boutiques, une collection à petits prix pour Monoprix, mais aussi sur une ligne de mobilier aux noms évocateurs: Cookie, Peanut, Sunrise…
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Modernité intemporelle
« Nous pratiquons une architecture souriante, avec la couleur comme constante, affirme le fondateur. Notre but est de créer des univers gais et chaleureux, qui amènent à réagir. » Uchronia, le nom du studio, fait référence à l’uchronie – la reconstruction fictive de l’histoire. Dans l’esprit de Julien Sebban, le mot signifie une façon de changer la réalité en mieux, en bouleversant les perceptions, de sorte que le temps n’existe plus.

S’amuser, s’évader du quotidien, c’était justement l’envie du couple de sexagénaires qui a confié à l’agence leur nouvel appartement de 190 m2 , un îlot de quiétude en plein Paris ouvert sur un jardin. Pour les propriétaires, il s’agissait d’un nouveau départ, un logement pour deux, mais avec la perspective réjouissante d’accueillir leurs petits-enfants.
Leur nouvelle jeunesse rencontre le désir inverse d’Uchronia d’offrir des propositions plus matures. « On qualifie notre travail de “pop”, mais ce n’est pas le propos, déplore Julien Sebban. Nous cherchons juste à mettre du fun dans un milieu qui ne rit pas assez. Ce chantier, c’est pour nous celui de l’âge de raison. C’est notre style, en version sage et classique. Le résultat donne une impression de luxe décontracté. »


L’appartement est le terrain de jeu idéal pour faire une démonstration moderne-classique. Cela est imperceptible de l’intérieur, mais l’immeuble a été construit dans les années 1970. Le collectif y a reconstitué le décor de stucs typiques de l’haussmannien pour jouer avec les époques, a abattu des cloisons pour retrouver du volume. Le micro-parquet en petits damiers de bois a été recouvert d’une résine rose pâle uniforme pour créer une sensation d’unité.
Uchronia, roi d’une architecture solaire
De l’architecture contemporaine ne demeure que l’avantage des grandes baies vitrées : autrefois coulissantes, elles sont désormais à larges battants, faisant pénétrer la verdure partout dans la maison. Dans cet écrin désormais lumineux, Uchronia a disposé ses meubles signatures: la table basse Cookie, le tabouret Bisou, le double fauteuil confident Sunny 2. Leurs courbes se marient avec celles de pièces prestigieuses: une réédition du célèbre canapé Ours Polaire, de Jean Royère, le rocking-chair Rio, d’Oscar Niemeyer, la sculpture colorée Milky Screen (2007), de l’artiste contemporain Aki Kuroda…

Dans le petit salon, le studio a imaginé des murs en chaux noire, avec un canapé ondulant qui s’échappe jusque dans la pièce d’à côté. Même jeu d’arabesques dans la salle à manger, où la grande table Peanut, d’Uchronia, dialogue avec des chaises Africa, d’Afra&Tobia Scarpa. La cuisine sur mesure a été façonnée en lave émaillée par l’atelier de céramique Pierre Versace, à Cagnes-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes. Sa couleur verte en fait un prolongement du jardin.
Dans la chambre du couple, la moquette a été dessinée par le studio, tout comme le dessus-de-lit en soie, en collaboration avec la Manufacture Prelle, l’un des plus anciens soyeux lyonnais. Le lit, lui aussi, est un pur produit maison, posé sur de grosses boules, rondes comme des ballons.


La fantaisie règne jusque dans le jardin, avec son mobilier outdoor conçu comme du design de collection. Les tables sont en pierre de lave et les fauteuils, recouverts de soierie spécialement étudiée pour résister aux intempéries, un défi lancé à la vénérable institution Prelle par les enfants terribles d’Uchronia, qui passent avec ce projet à l’âge de raison…
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