Je vous cite : « Le design, une discipline de rois, toujours un peu jouée par des bouffons, moi le premier. »
(Rires) Oui. En fait, c’était une allusion à l’adage selon lequel le football est un sport de gentlemen pratiqué par des voyous et le rugby un sport de voyous pratiqué par des gentlemen. Ce que je voulais dire, c’est que nous sommes à une place où nous avons un pouvoir. Quand vous travailliez pour Huawei ou Apple, vous faites des choix qui comptent. Quand je dis roi, je parle d’un certain pouvoir et l’intérêt de ce métier, c’est d’en faire bon usage. Quant à la discipline jouée par des bouffons, ce n’est pas un jugement de personnes. C’est juste que de certaines manettes, on fait parfois des joysticks…
Les designers sont-ils responsables de l’impression qu’on a – même au salon de Milan – que tout est loin d’être parfait dans le monde du design ?
On se le dit même la plupart du temps que tout n’est pas génial à Milan ! Qu’est-ce qui est nécessaire ? Notre métier doit jouer avec ces ambiguïtés-là. La façon dont j’essaie d’y répondre, c’est de penser qu’un projet, c’est aussi potentiellement un Cheval de Troie. Il y a ce qu’on vous a demandé, ce pourquoi vous êtes payé et les petits guerriers que vous allez mettre dans le Cheval de Troie pour apporter une autre pierre à l’édifice. C’est parfois léger mais c’est là-dessus qu’on peut faire bouger les lignes…
Pourquoi les designers disent-ils toujours « Je suis optimiste » d’un air soucieux ?
C’est à cause de la complexité, laquelle constitue le vrai intérêt de ce métier. Le choisir, c’est vouloir changer les choses mais parfois avec les pieds dans la boue. Si vous jouez le jeu, vous êtes les pieds dans cette réalité et essayez de la modifier de l’intérieur. Pour le coup, je ne suis pas optimiste. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut abandonner ! Nous continuons parce que nous, les humains, sommes là pour ça. C’est compliqué d’être optimiste. Et sur la nature humaine, c’est difficile. Pareil à propos des capacités de transformation. Cela ne va ni très vite ni très loin. La preuve, notre seule réponse en période de guerre – même si on peut la trouver poétique – est d’éteindre la Tour Eiffel. Mais pour le civil d’Alep, cette poésie ne change rien. C’est ma vraie réticence vis-à-vis de la poésie, même si je suis amateur de beaucoup de poètes. Quand je mets les pieds dans la boue du monde, je vais voir avec mes petits bras si je peux changer ne serait-ce qu’un millimètre. Et dans ce monde-là, la seule façon de s’en sortir, est aussi d’empêcher que le pessimisme n’emmène vers le cynisme ou l’immobilisme. Après, changer la vie de trois patients dans un hôpital, ce n’est déjà pas si mal…