Cette ville adule la nouveauté, le contemporain, la technologie, la puissance et la richesse. Narcissique, elle se mire dans l’or et l’argent de structures futuristes démentielles parmi lesquelles se promènent les citoyens de l’empire du Milieu vissés à leur smartphone. Alors, si vous rêvez d’une autre galaxie, rendez-vous à Shanghai ! Ultraconnectée, dopée à l’adrénaline, riche en vertiges, l’icône chinoise semble créée par une civilisation outre-terrienne.
À l’image de ce Golem apparu sous son ciel : la Shanghai Tower. Si « Star Trek versus les méchants Klingons » peut définir son style, le prodige réalisé par l’agence américaine Gensler, gainé de verre taillé en spirale jusqu’à 632 mètres de hauteur, domine l’île de Pudong. On s’épargne un torticolis en s’offrant un ticket qui pique un peu (60 € !), afin de batifoler à son sommet en sirotant un café (offert !). Autrefois chantier naval et terre agricole, « à cinq minutes en vélo du très aristocratique Bund », précise le chef français du Peace Hotel qui y réside, Pudong s’est défait d’une sale réputation pour devenir le quartier le plus privilégié et fort en démesures. Il est hérissé de cages de verre de couleur, blocs de cristal – dont les 180 mètres de l’hôtel Shangri-La dessiné par l’agence américaine Kohn Pedersen Fox –, tours cuirassées de métal, malls rutilants et gratte-ciel froids comme des pains de glace.
Gino Andreetta, président Asie du Club Med, confie : « Cette ville est vibrante, attachante, l’une des plus sûres du monde, curieuse de tout. Il n’existe que deux temps ici : le court, qui simplifie les choses, et le long, qui donne une direction. Tout repose également sur le réseau (le « guamchi ») qui se fabrique dans la rencontre. Un contrat est le début d’une relation, pas la fin, contrairement à l’Occident. Les Chinois évoluent vers la création et ouvrent désormais le chapitre de l’invention. »
PROFIL EXPRESS
Le sud de la Chine est le puissant poumon économique d’un pays où brille une perle de la plus belle eau: Shanghai. La grande capitale internationale, toujours un peu canaille, cultive frénétiquement ses échanges avec l’extérieur. Aujourd’hui, la mégapole de 24 millions d’habitants offre la sensation déroutante d’une superposition de passés combinée à une modernité affolante. On ne vit plus sans son smartphone, mais on continue de vider son pot de chambre dans la rue ! Trois périphériques ceinturent la ville, mais les quartiers ont conservé leurs lilongs – des ruelles traditionnelles qui les parcourent formant un véritable réseau. Il existe encore des gratte-ciel tels qu’on les imaginait à Chicago dans les années 30, des palaces Art déco, des villas de tous styles. Shanghai est aussi redoutablement futuriste. Le marqueur de son accélération ? L’Exposition universelle de 2010 qui a vu passer plus de 70millions de visiteurs. « Meilleure ville, meilleure vie » devient le slogan officiel qui booste les transformations radicales : l’édification rapide d’autoroutes par couches de six, la mise en route de 16lignes de métro (20 sont prévues). De nouveaux quartiers surgissent, dont Pudong, doté d’une tour de 632 mètres propre à impressionner la planète, talonné par le West Bund, deuxième centre de l’argent et du pouvoir. Les chantiers pullulent et des secteurs résidentiels émergent d’un coup, comme Xintiandi (dont le nom signifie « quartier nouveaux riches »), dont certaines shikumen (maisons chinoises en brique à « portail de pierre ») sont restaurées mais surtout détruites pour faire place à des immeubles de standing. Le modèle est copié dans les villes d’importance. Bonne nouvelle : la Chine s’intéresse aux problèmes de pollution.
Le soir, cette inventivité nous vrille la rétine alors que nous sommes installés sur un rooftop stratégique parmi une clientèle d’expats, parvenus, « fils et filles de »… Aux tables réservées, des déesses intouchables et éthérées chipotent leurs dimsums, vouées dès midi à porter exclusivement un sac Dior, des chaussures Louboutin et une robe Chanel ou Dolce & Gabbana. Robes pailletées et montres en platine réfléchissent les glacis de buildings sur lesquels coulent des rivières de lumières, des films ou des animations couleur citron-menthe.
Au milieu, fanfaronne la Perle de l’Orient, cette tour à l’esthétique un peu bouffonne composée de boules à facettes rose vif, emblème de la « Perle », surnom européen donné à la mégapole. À ses pieds flottent des bateaux dodus comme des truites et parés de lampions, mais aussi, en route vers les terres du Nord, des caravanes de péniches fantômes dépourvues de la moindre lumière. Sur le Bund, une foule familiale se presse le long des bâtiments coloniaux en pierre pour admirer les vitrines de luxe et rêver d’une Rolex.
Les yeux brillent devant les palaces, où des grooms en livrée blanche ouvrent et ferment des portes de bronze devant les passagers des Rolls. Hallucinés par la silhouette rétrofuturiste du Bund, on a failli rater le luxe tapageur d’une Porsche carénée de nacre blanche qui se coule entre des charrettes à bras rouillées pleines de vieux cartons.
C’est aussi cela, Shanghai : le télescopage de la vieille Chine et de la nouvelle. Un grand-père en pyjama promène sa cage à oiseaux dans la rue et, juste à côté, sous une pluie battante, de futurs top-modèles minaudent en robes de mariée rouges devant la boutique Chanel qui n’avait pourtant sûrement pas demandé à figurer en arrière-plan dans un catalogue… Le moindre restaurant occupe des centaines de mètres carrés, alors que des employés s’entassent dans des trois-pièces.
Partout, et le Bund n’y échappe pas, les palissades imagées cachent des chantiers qui, nuit et jour, forgent le futur… en détruisant les maisons anciennes. Planchers, escaliers, cheminées, toits en céramique sont aussitôt chipés par des triporteurs qui n’attendent que leur chute. En s’éloignant de 500 mètres du Bund vers l’ancien territoire américain, d’authentiques lilongs (quartiers typiques de la ville, parcourus d’allées le long desquelles sont distribuées des habitations fin du XIXe– début du XXe) abritent de fragiles maisons et leurs modestes habitants. Ces derniers font encore la cuisine en commun, autour de robinets bidouillés, et leurs courses dans le boui-boui de leur « microvillage ».
Au même moment, d’autres arpentent fiévreusement un mall IAPM pour toucher de près un lifestyle hors de prix. Autrefois magnifiques, des bâtisses bondées ressemblent aujourd’hui à des bidonvilles. La porte à côté, un milliardaire élève son manoir en forme de Parthénon paré de vitres fumées. La ville entière est un méli-mélo, dont fait partie le Yu Garden. Dépaysement garanti dans ce fac-similé de la Chine impériale où l’on se prend au jeu parmi une marée compacte en y découvrant d’authentiques artisans d’art spécialisés en paille, laque ou éventails.
Autre choc visuel : le Bund West, le quartier d’affaires et d’art en vogue, dont l’élégance racée présente côte à côte le pharaonique nouvel hôtel du groupe chinois Wanda en habits noir et or, un mall chamarré et la Fondation Fosun toute de cuivre vêtue. Abrité sous le ventre de ce dragon carapaçonné, on s’offre un express en observant des jeunes scotchés à leur écran, alors que le nôtre est orphelin de Google et de Facebook, interdits en Chine !
On l’a compris, l’amour de l’image, c’est tout Shanghai. Pas de lieu plus propice pour y installer, depuis quatre ans, la PhotoFairs Shanghai riche de 50 galeries internationales. Laissant à la très compétitive Hong Kong le soin d’accueillir Art Basel, Shanghai mise sur les arts visuels. « Shanghai possède un fort potentiel. Elle est pour nous l’autre porte sur l’art, précise Georgia Griffiths, directrice du groupe PhotoFairs. Notre foire apporte une grande fraîcheur et se veut un pont entre l’Est et l’Ouest. L’an passé, 27 000 visiteurs se sont déplacés, on en attend 30 000 cette année ! » Fondée par Scott Gray à San Francisco, l’événement met à l’honneur auteurs, galeries, mais aussi collectionneurs qui, cette saison, ont prêté des œuvres majeures. « Ces collectionneurs sophistiqués ont une sensibilité qui leur permet de monter des collections pointues », analyse Georgia Griffiths. Démonstration à travers les choix judicieux de David Chan ou de Thomas Shao, fondateur du groupe de presse privé Modern Media (éditeur d’IDEAT Chine). « La photographie est encore un art accessible, assure Georgia Griffiths. Mais en Chine, la relation entre le client et le galeriste est fondamentale : elle se fait sur la durée. »
INFOS PRATIQUES
VISA
Il faut d’abord remplir les documents en ligne (sur Visaforchina.org) et prendre rendez-vous depuis le site avant de les déposer au consulat: 25, rue de Bassano, 75008 Paris. Visa express possible. Prix standard: 126€depuis l’espace Schengen.
MONNAIE
1 euro = 0,80 yuan (ou renminbi).
JET-LAG
Moins 6h l’été, moins 7h l’hiver.
BON À SAVOIR
L’automne est la saison propice pour un séjour. Côté boutiques, fermeture entre 20h et 21h. Le taxi est idéal pour se déplacer dans cette ville de 6 340km2 (contre 105km2 pour Paris) et peu cher. Conserver sur soi l’adresse en chinois fournie par votre hôtel.
Le soir du vernissage, on se marche sur les pieds, entre les stands chiliens, iraniens, néerlandais, français et chinois, bien sûr. Ce sont 40 % de galeries internationales qui répondent présent. La sélection ambitieuse donne lieu à une effervescence perceptible autour d’un événement qui a pris un virage mondial. L’art est partout à Shanghai comme en témoigne le foisonnement de galeries et de musées privés. Là encore, tout est question d’image : il s’agit pour les fondateurs, excessivement milliardaires, d’afficher leurs goûts et leur compte en banque. Mais grâce leur soit rendue pour ces trésors ! Citons les sublimes Yuz Museum, la Fondation Fosun évidemment, le musée d’Histoire naturelle et la Power Station of Art, des classiques avec le musée Long. À ceux-là s’ajoutent la K11 Art Foundation et le HOW Art du collectionneur Zheng Hao, tout juste inauguré côté Pudong. Enfin, le Rockbund Art Museum qui cultive sa réputation d’empêcheur de penser en rond.
Malgré ses 24 millions d’habitants, malgré sa folie des grandeurs et sa circulation, la ville est aussi furtive qu’un chat. Le gouvernement y veille. Pas un coup de klaxon, pas une sirène de police, pas même la sonnette désespérée d’un vélo pris en sandwich entre deux bus ! Polluée, Shanghai voit sa municipalité miser sur le tout électrique, sponsorisant les scooters qu’on n’entend pas plus qu’on ne les voit, surtout la nuit quand ils roulent phares éteints pour économiser leur batterie. Concurrent sérieux : le vélo, sorti il y a un an du purgatoire post-maoïste dans sa réincarnation en Mobike, version chinoise du Vélib’. Hommes d’affaires, working girls, mamies chic et branchées « textotent » d’une main tout en pédalant à travers les rues de la ville, heureusement plate.
Le dimanche, les bicyclettes se croisent sous les platanes de l’ancienne concession française. Ici se retrouvent les influenceurs qui refont les tendances dans les coffee-shops, fréquentent librairies, restaurants design et boutiques créatives. C’est l’épicentre des demeures préservées (réservées à l’élite militaire, elles ont été entretenues), des parcs veloutés de bonzaïs géants et des lieux secrets qui font le sel d’un séjour à Shanghai.
VISITE SINGULIÈRE
Créé par le Français Thomas Chabrières, qui vit depuis 1999 à Shanghai, Insiders Experience organise des tours sécurisés en side-car (motos de l’armée chinoise restaurées). Une belle occasion de visiter les coins sans touristes. Les pilotes, des expatriés, connaissent la mégapole sur le bout des doigts. Michael Douglas a adoré, c’est dire !
Insidersexperience.com