La pierre de cette cité de la région de la Basilicate n’a pas toujours été dorée : longtemps, paysans et bergers ont cohabité avec les animaux dans des grottes insalubres. Dans les années 50, découvrant ces conditions de vie misérables, le chef du gouvernement a parlé de Matera comme de « la honte de l’Italie », avant de reloger toute la population… et d’en faire une cité fantôme. Il faudra attendre 1993 pour que l’Unesco reconnaisse l’ingéniosité de ces maisons troglodytiques enchevêtrées, les sassi, et les inscrive sur sa Liste du patrimoine mondial pour les préserver. Ensuite, artistes et artisans se sont peu à peu réapproprié les lieux, sans doute inspirés par ce décor chaotique et théâtral et par l’atmosphère bohème et cosmopolite qui, dès la fin du XXe siècle, préfigurait le slow living.
Matera, de la honte à la gloire
Aujourd’hui, dans cette « ville-gruyère » parfaitement restaurée, les volées de marches conduisent à des adresses cool : un bar à vins de trois niveaux sous terre, une galerie d’art contemporain dans une église, un boutique-hôtel de pierre blonde, tout de blanc aménagé… Matera 2019 était donc une évidence. Et l’esprit du programme s’est imposé de lui-même. « Toutes les productions originales de la manifestation s’emparent de l’histoire de Matera : l’association des patrimoines historiques et contemporains, les espaces troglodytes et même les thématiques de la honte, de la générosité, de la frugalité, de l’écologie… », explique la Française Ariane Bieou, manager culturel au sein du comité d’organisation.
De grandes expositions donnent le tempo, dont une sur les mathématiques et la science, par le prisme de l’art (Pythagore est un enfant du pays), ou une autre sur l’Anthropocène, sous le regard du vidéaste et photographe italo-allemand Armin Linke. Ailleurs, des installations pérennes sont créées in situ dans six boutique-hôtels par des artistes : l’Anglaise Georgina Starr au Sextantio, l’Italien Alfredo Pirri au Corte San Pietro… « C’est de l’art public par excellence, puisqu’il change la perception de la ville, qu’il en révèle la beauté en faisant appel à l’imaginaire », souligne Francesco Cascino, le commissaire de l’exposition éclatée baptisée « Matera Alberga ». D’autres créateurs participent au projet I-Dea, qui consiste à transformer des archives et objets anciens (films de famille, outils agricoles…) en œuvres d’art.
Et, à l’Open Design School, des designers conçoivent avec des volontaires des modules griffés « Matera 2019 » : des totems pour la signalétique, des éléments de scène… « Nous tenons à impliquer la population et les visiteurs, à mélanger les pros et les non-pros, souligne Ariane Bieou. D’ailleurs, “Matera 2019, Openfuture” signifie que l’avenir est ouvert à tous et à toutes les opportunités. En fin d’année, à l’heure du bilan, il sera sans doute intéressant de voir jusqu’à quel point notre expérience de ville ouverte a pu être poussée. »