« La brume, le vent, la vue sur l’Elbe à travers les rideaux, et les sirènes des bateaux. C’est ça Hambourg pour moi. »
Karl Lagerfeld (1933-2019)
Lorsqu’on flâne à Hambourg, il est rare de ne pas voir surgir, entre deux immeubles, les pointes acérées de l’Elbphilharmonie : vague de verre coiffée d’écume posée sur un socle de brique rouge, à l’image de celles qui ont fait l’identité de la ville. Deux ans après son inauguration, plus de 8,5 millions de personnes y ont assisté à un concert ou ont emprunté le vertigineux Escalator de 82 mètres de long, tunnel nimbé de blanc menant à une terrasse perchée à 37 mètres au-dessus du sol, ouverte sur la ville et le ballet de porte-conteneurs du port. Succès total. Un morceau de bravoure architectural et un pari financier qui sont à l’image de cette ville surprenante, si sage en apparence mais capable de toutes les extravagances.
Sa personnalité tout en contrastes ne date pas d’hier. Ouverte au commerce maritime, aux idées, chantre de la liberté de la presse, port de départ et d’arrivée des voyageurs au long cours, Hambourg donne pourtant toujours l’impression de rester drapée dans sa superbe. Aujourd’hui encore, beaucoup de sites Internet, y compris d’institutions culturelles ou de restaurants, sont exclusivement dans la langue de Goethe et nombreux sont les commerçants qui ne parlent pas un mot d’anglais. La cité nordique n’en est que plus dépaysante, et donne cette vague impression d’avoir atterri sur une île… À une heure quinze de vol de Paris !
C’est à Hambourg, au XIIIe siècle, que fut créée La Hanse (guilde en haut allemand). Cette association de villes marchandes devait compter, au Moyen Âge, jusqu’à 200 cités, sorte d’Union européenne avant l’heure pensée pour bâtir un quasi-monopole sur les échanges en Europe du Nord. Huit siècles plus tard, Hambourg a-t-elle tellement changé ? Son appétit de réussite, son désir de se distinguer, certainement pas.
Première ville économique et plus grand port de marchandises d’Allemagne, elle a gardé son nom officiel, Freie und Hansestadt Hamburg (ville libre et hanséatique de Hambourg). La raideur protestante est toujours là et les signes extérieurs de richesse restent codés. « Le loden bleu marine et le cachemire beige sont la règle, s’amuse Ulla Jahn, propriétaire de la galerie Func.furniture. Les intérieurs sont meublés de noms de designers qui ont fait leurs preuves, personne ne prend de risques. »
Cachés derrière les murs des maisons de l’époque wilhelminienne (la période allant de 1871 à 1918) des bords du lac de l’Alster ou du quartier chic de Nienstedten se nichent la plupart des milliardaires du pays. Voyez Harald Falckenberg : critiqué ou admiré pour ses positions radicales, l’homme d’affaires de 74 ans fait figure d’ovni dans le petit monde des grands collectionneurs privés. Ses choix iconoclastes ont beau surprendre, il est devenu l’une des figures respectées dans une ville plus coutumière des vernissages feutrés que de la provoc. En vingt ans, Falckenberg a amassé près de 4 000 œuvres, tous médias et supports confondus. Il les archive et les expose dans une ancienne usine de la périphérie de Hambourg, la Sammlung Falckenberg, où il accueille également d’importantes rétrospectives.
« Tout le monde doit beaucoup à Harald Falckenberg », reconnaît Katja Schroeder, directrice artistique de la Kunsthaus, un lieu à but non lucratif lancé par la ville dans les années 60. Cette structure vivante de 500 m² permet aux jeunes artistes allemands de commencer à exposer dans un lieu professionnel. Juste à côté, dans le même ensemble d’anciennes halles couvertes, la Kunstverein est organisée sur un principe identique : les actionnaires sont les artistes eux-mêmes. Un fonctionnement de l’art typiquement germanique. Il ne date pas d’hier : la Kunstverein a récemment fêté ses 100 ans !