Les restaurants comme écosystèmes du lien social n’ont jamais été aussi importants. Il aura fallu qu’ils ferment leurs portes pour saisir qu’au-delà d’une assiette, d’une salle, d’une table et de chaises, si confortables soient-elles, c’est d’une qualité de vie, de divertissement, de réconfort, d’humour et de chaleur humaine dont il faut momentanément se passer quand la pandémie nous attrape à nouveau.
Partout dans le monde, les gens vont au restaurant pour se faire plaisir. C’est culturel. Retirez cette convivialité et c’est toute une économie qui s’effondre. Dans ces pages, force est de constater que le naturel revient au galop. Sur les tables comme dans les assiettes, à Londres comme à Copenhague, Odessa ou Barcelone, on aime transcender le végétal, le vivant, les fonds marins ou la ville dans ce qu’elle véhicule de solidarité et de diversité.
L’upcycling des matériaux a la cote, le locavorisme court les rues, le zéro déchet gagne du terrain, un monde plus juste et plus sain pointe sous la fourchette, encore faut-il lui donner de l’espace. « Nous sommes ce que nous mangeons », prophétise Jane Goodall, grande prêtresse amie des chimpanzés. Et si tout le monde n’a pas vocation à devenir végétarien, d’aucuns n’ignorent cependant que la protection de la faune, de la flore, de l’environnement dans son processus vital, passe par le constat d’un modèle productiviste à bout de souffle. Manger moins, mais manger mieux et cultiver le vivre-ensemble, c’est aussi cela le restaurant de l’après-demain.
A Barcelone : Cheriff
Véritable institution de la Barceloneta, un quartier de pêcheurs peu à peu gentrifié, le restaurant Cheriff renaît cette année. Pour une authenticité préservée qui parle à la communauté branchée, Mesura a distribué l’espace en zones compactes, typiques de la poissonnerie d’hier. Terrazzo vernaculaire, courbes et arcs rétro, bois recyclé et un bleu marine pétillant agissent comme autant d’éléments fédérateurs fournis par la crème des artisans locaux. Une ode aux pêcheurs du passé et à ceux qui approvisionnent le lieu chaque matin.
> Carrer de Ginebra, 15, 08003 Barcelone. Site internet du Cheriff.
A Londres : Wilder
Un an avant sa mort, Terence Conran, le fondateur d’Habitat et The Conran Shop, faisait appel au Kirkwood McCarthy pour réinventer le Boundary, l’hôtel que ce pape de la hype avait ouvert en 2009 à Shoreditch. Il souhaitait alors offrir à son nouveau partenaire, le chef Richard McLellan, un écosystème à la hauteur de sa cuisine radicale et sauvage. Aux briques des murs, les architectes ont associé des tons d’argile, des textiles naturels, du mobilier en frêne massif et des œuvres d’art inspirantes. Pour l’anecdote, les grands assemblages végétaux provenaient de la propriété de sir Terence Conran himself, à Barton Court, dans le Berkshire.
> Adresse : Entrance on, 2-4 Boundary St, Redchurch St, Hackney, London E2 7DD, Royaume-Uni. Site internet du Wilder.
A Londres : Silo
Doug McMaster transpose à Hackney, dans l’East London, son concept de restaurant zéro déchet débuté à Brighton, en 2014. Pour acter son credo durable, de la déco jusqu’aux plats, contenus et contenants inclus, le chef s’est tourné vers l’architecte d’intérieur Nina Woodcroft, connue pour son souci de l’éthique. Résultat ? Une esthétique sobre et claire où les suspensions fabriquées à partir d’algues ou de mycélium, le bar langé dans du cuir recyclé, le comptoir fait d’emballages en polyester font écho à une cuisine saine, locavore et citoyenne qui désarticule le gaspillage pour augmenter la ressource comestible.
> Unit 7, The white building, 1st Floor, c/o CRATE Bar, Queen’s Yard, Hackney Wick, London E9 5EN, Royaume-Uni. Site internet du Silo.
A Londres : Folie
« Comme souvent dans notre démarche d’architectes, Folie tente de faire dialoguer des époques et des influences parfois éloignées », commentent Karl Fournier et Olivier Marty, aka Studio KO. Cuir camel, banquettes-fleuves tout en courbes, assises sculpturales et profusion de luminaires, l’hommage à un Paris glamour des sixties qui flirterait avec le Barbican des seventies est ici en osmose avec la cuisine de la Riviera, « de Marseille à Portofino », voulue par Guillaume Depoix, un autre Frenchie installé à Londres, entre Soho et Mayfair.
> 37 Golden Square, Soho, London W1F 9LB, Royaume-Uni. Site internet du Folie.
A Londres : The Connaught
L’an dernier, Pierre Yovanovitch revampait la table étoilée de l’hôtel The Connaught dans le quartier de Mayfair, à Londres, fief d’Hélène Darroze, connue pour son style raffiné et réconfortant. En redessinant le mobilier tout en rondeur pastel, le designer a éclairci les boiseries et teinté de pêche les murs et les corniches. Une table-alcôve et un salon à armagnac ont créé de nouvelles expériences. « Mon travail sur mesure, qui fait appel aux artisans les plus qualifiés, reflète la manière d’Hélène de sourcer les meilleurs fournisseurs et produits capables de tirer sa cuisine vers le haut. »
> Carlos Pl, Mayfair, London W1K 2AL, Royaume-Uni. Site internet de The Connaught.
A Londres : Hide
En direct de Green Park, au cœur de Mayfair, Hide est une table gastronomique qui respire le bon goût. Pendant que l’agence LustedGreen veillait sur l’architecture des trois niveaux, Atmos Studio créait le stair-stalk, l’escalier-liane qui les relie. Rose Murray et son jeune studio, These White Walls, s’emparaient brillamment du décor dans une narration propre à chaque étage, le tout en accord avec l’excellence culinaire et maraîchère du chef Ollie Dabbous, co-partenaire de ce restaurant qui fait courir le Tout-Londres.
> 85 Piccadilly, Mayfair, London W1J 7NB, Royaume-Uni. Site internet du Hide.
A Lindesnes (Norvège) : Under
En norvégien, under a le double sens de « ci-dessous » et de « merveille ». Enfoncé dans la mer, le bâtiment-monolithe (34 mètres de long) brise la surface de l’eau pour reposer sur le fond marin, 5 mètres plus bas. Conçu par Snøhetta pour s’intégrer pleinement dans son environnement au fi l du temps (la rugosité de la coque en béton fonctionne comme un récif artificiel) et résister aux variations climatiques extrêmes, cet étonnant périscope off re à la table du chef Nicolai Ellitsgaard une expérience maritime qui épouse les saisons en profondeur.
> 4521 Båly, Norvège. Site internet du Under.
A Rome : VyTA Farnese
La chaîne italienne de cafétérias en gare a un appétit d’ogre. La voilà qui met le couvert pour de vrai à Covent Garden, à Londres, et à Rome, entre le palais Farnese (où loge l’ambassade de France) et le remuant Campo de’ Fiori. À la place du vieux Caffè Farnese, le studio de Daniela Colli inscrit ce nouveau VyTA (café, restaurant et cocktail-bar) dans une extravagance à la fois bourgeoise et accrocheuse : marbres polychromes, cuivre brillant et surfaces laquées, miroirs et velours, symétries et formes audacieuses épousent une palette de vert émeraude et de rose pastel. La Renaissance, oui, mais contemporaine…
> Via Dei Baullari, 106, 00186 Roma RM, Italie. Site internet du VyTA Farnese.
A Budapest : Buha(i)rest
Café-bar d’un côté, fine dining de l’autre, pour ce restaurant en vue, Roman Plyus devait intégrer les fauteuils Chandigarh du décor précédent, dans une nouvelle modernité « instagrammable tout en restant amicale ». Le long des arches et des plafonds en béton existants, les enduits décoratifs, les formes organiques et les matériaux recyclés harmonisent l’espace tout en lui apportant une esthétique de cartoon chic. Clin d’œil au savoir-faire hongrois en la matière, la sculpture géante Small Lie, de Kaws, est sans doute là pour le rappeler à chaque selfie.
> 1148-square-foot (350-square-metre) Budapest, Hongrie.
A Copenhague : Hverdagen
Dans le très créatif quartier de Kødbyen, Hverdagen (« vie courante », en danois) met le banquet au menu et fait cohabiter grands dîners sociaux et expérience de café restaurant plus intime. Longue table suspendue en position centrale, pin douglas et plantes s’invitent naturellement avec l’alimentation du quotidien, à base d’ingrédients 100 % bio, ouverte au partage. L’atelier de menuiserie Vermland fait mieux qu’envoyer du bois en un même espace : écartant la visserie métallique au profi t de joints à la japonaise, il fait du bois massif à la fois l’histoire structurelle et visuelle du design.
> Onkel Dannys Pl. 9, 1700 København, Danemark. Site internet du Hverdagen.
A Moscou : The Y
Pour ce restaurant à Moscou, les designers du studio new-yorkais Asthetíque (également implanté en Russie) expliquent s’être inspirés des décors stylisés des films de Wes Anderson. On cherche donc entre les arches, la forêt de laiton doré, les sièges bleu glacier et le comptoir take away de cette grande salle à manger en rez-de-chaussée – ainsi que dans les autres espaces plus cossus qui se trouvent à l’étage –, les indices de cette identité théâtrale censée plaire à des clientèles très variées, au gré des jours et des heures.
> Malaya Pirogovskaya Ulitsa, 8, Moscow, Russie, 119435. Site internet de The Y.
A Odessa (Ukraine) : Daily
Situé dans la ville portuaire d’Ukraine, le café Daily a été conçu par le studio Sivak+Partners pour être un espace polyvalent, mais intime, divisé en deux zones. L’enduit couleur sable de la partie café contraste avec le rouge « sang de bœuf » d’un petit salon plus cosy. « Le bois de frêne utilisé pour le comptoir, des luminaires, des tables et pour la structure de la jardinière suspendue accentue cette chaleur », explique Maksym Iuriichuk, designer en chef de l’agence.
> Rishelievska Street, 33, Odesa, Odessa Oblast, Ukraine, 65125. Site internet du Daily.