Aurélien Mole / Courtesy The Artist And Art : Concept

Tendance : Le retour en force des rideaux, enquête sur un classique indocile

Longtemps relégué au rang d’accessoire domestique, le rideau revient hanter nos intérieurs avec la même intensité qu’un plan séquence de Lynch. Objet textile à l’histoire sociale et culturelle vertigineuse, il signe aujourd’hui le renouveau d’un design plus tactile, plus théâtral, presque subversif. Enquête sur un indispensable qui n’a jamais quitté la scène, même lorsque tout le monde lui tournait le dos.

Élément théâtral ou signe d’appartenance sociale, le rideau joue sur tous les tableaux. Ses fonctions sont multiples et son histoire fait aussi récit d’une culture. Enquête.


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Le rideau, toute une histoire

Le réalisateur américain David Lynch, disparu en janvier 2025, en était fasciné : « Je ne sais pas d’où ça vient, mais j’adore les rideaux. Il y a quelque chose d’incroyablement magique dans le fait que des rideaux s’ouvrent et révèlent un monde nouveau. Cela résonne profondément chez les gens », peut-on l’entendre dire dans le making-of de Twin Peaks : Le Retour. Une série et un film cultes dans lesquels les rideaux en velours rouge deviennent un leitmotiv lynchien.

« Rideau-Pantalon » et « Rideau-Chemise », œuvres textiles et pièces uniques signées Sarah Espeute, présentées à Paris en 2024, lors de la Semaine de l’art et du design.
« Rideau-Pantalon » et « Rideau-Chemise », œuvres textiles et pièces uniques signées Sarah Espeute, présentées à Paris en 2024, lors de la Semaine de l’art et du design. MAXIME VERRET

Mais ces derniers ne sont pas réservés au cinéma ou au théâtre. Ils ont aussi incarné des usages culturels, sociaux, voire politiques, au fil des siècles. Dans la Rome antique, les vela protégeaient maisons et théâtres du soleil, puis au Moyen Âge, les rideaux étaient principalement utilisés pour protéger du froid – ils isolaient les fenêtres et séparaient les chambres. Sous Louis XIV et Napoléon, les rideaux, lourds et travaillés, participaient de la grandeur des intérieurs aristocratiques, quand les plus pauvres l’utilisaient autour de leur lit pour compartimenter l’espace. Au XIXe siècle, ils deviennent le reflet de la bourgeoisie.

Au cours de l’exposition « Mode & Intérieurs. A Gendered Affair », qui vient de s’achever au MoMu d’Anvers, on apprenait que le rideau était le symbole de l’assignation sociale des « femmes au foyer », qui croulaient sous les couches de tissus, comme leur intérieur sous les draperies et autres étoffes sophistiquées.

Aujourd’hui, cette dimension genrée s’est dissipée dans l’imaginaire collectif, tandis que l’arrivée du minimalisme fonctionnel des années 1990 et le succès des stores ont changé la donne. Selon un article du magazine américain The Atlantic, publié en 2024, tirer ou ne pas tirer ses rideaux peut refléter une appartenance sociale, culturelle et religieuse. Les laisser ouverts, voire ne pas en mettre, serait ainsi une façon d’exhiber ses richesses. Autre constat, nos voisins d’Europe du Nord ne seraient pas très disposés à enrichir ce marché : si leurs fenêtres restent dégagées, c’est en raison d’un héritage protestant axé sur la transparence.

Vue d’une partie de l’installation « Le milieu est bleu », lors de l’exposition « Ulla von Brandenburg », au Palais de Tokyo, en 2021.
Vue d’une partie de l’installation « Le milieu est bleu », lors de l’exposition « Ulla von Brandenburg », au Palais de Tokyo, en 2021. Aurélien Mole / Courtesy The Artist And Art : Concept

Selon Frédéric Martin-Bernard, qui a créé Window en 2022, marque parisienne de rideaux design fabriqués dans les Vosges, le désintérêt pour ce produit a non seulement été renforcé par le style de vie scandinave, mais aussi par la pandémie. « Après les confinements, les gens ont eu envie de faire entrer la lumière naturelle », explique-t-il. Pour autant, le rideau reste une valeur sûre des catalogues des éditeurs de tissus, tels que Kvadrat, Pierre Frey, Rubelli, Élitis, Nobilis ou encore Misia. « Il demeure une pièce maîtresse dans les intérieurs français et participe à leur personnalisation. C’est la touche finale que l’on apporte à une pièce, un peu comme un accessoire qui va finaliser un look », souligne Frédéric Martin-Bernard qui, dans sa précédente vie professionnelle, a été journaliste mode. Diversité dans les tissus, offre sur mesure, certains n’hésitent pas à débourser une somme à trois zéros pour orner leurs fenêtres.

Le design contemporain réinvente la théâtralité du rideau

C’est aussi pour son sens de la théâtralité que le rideau est apprécié, comme il en a fait la démonstration lors de récents événements design. Au dernier salon de Milan, l’installation conjointe de Dimoremilano, marque de meubles et de luminaires, et Loro Piana, entreprise spécialisée dans la fabrication de tissus et de vêtements de luxe, comprenait d’imposants exemplaires en rideaux velours rouge. La marque de textile finlandaise Marimekko et la food designeuse new-yorkaise Laila Gohar ont, quant à elles, opté pour des versions rayées rose et orange, venues habiller le Teatro Litta. À cette démonstration de style, ajoutons le travail délicat des artistes Freja Lowe, Ulla von Brandenburg, Céline Condorelli et Sarah Espeute qui utilisent le rideau comme support d’expression plastique.

« Clairevoie », nouvelle collection 2025 de Window. Un jacquard réversible, décliné dans dix couleurs, tissé et confectionné en France.
« Clairevoie », nouvelle collection 2025 de Window. Un jacquard réversible, décliné dans dix couleurs, tissé et confectionné en France. Yannick Labrousse

Dans nos petits espaces, comme dans nos vies, où le privé et le professionnel s’entremêlent, le rideau permet de créer des délimitations. Tout comme le prouvent Bruno Pauli Caldas et Massimo Scheidegger avec leur présentation de « Stanza » à la dernière Design Parade Hyères, un séparateur d’espace composé d’un textile suspendu à une structure à roulettes, s’adaptant « aux exigences spatiales évolutives d’aujourd’hui ». Pour Frédéric Martin-Bernard, nul doute que le rideau répond à nos exigences d’aménagement et à nos préoccupations climatiques : « Des grandes surfaces ou habitations anciennes vont privilégier le rideau de laine, avec pampilles et embrasses, car c’est un isolant thermique et phonique idéal. Pour ma part, je donne l’avantage aux rideaux vaporeux, une tendance post-Covid très scénographique et visuelle, popularisée par les réseaux sociaux. »

Ça tombe bien, Window propose des voilages design à partir de linges de maison en coton upcyclés, tandis que Louise Roe, Gotain, Nordic Knots ou encore Bérengère Leroy offrent quantité de voilages en lin. Un appel d’air pour davantage de légèreté.


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