On a beau l’avoir vu mille fois en photo, l’opéra de Sydney aimante. Ses voiles blanches dont l’intensité varie selon la lumière exercent une fascination sans fin. Jørn Oberg Utzon, Pritzker Prize 2003, a fait de ce bâtiment le symbole de la ville et du pays. Non sans raison. La première flotte de colons britanniques débarqua ici en 1788, changeant le cours de l’histoire du continent. Heureusement, Sydney ne se résume pas à ce monument unique en son genre. La ville vibre sous les chants et les cris des cacatoès, des kookaburras et des ibis blancs qui n’aiment rien tant que chiper les sandwichs des touristes dans les parcs.
L’odeur des barbies (pas les poupées, les barbecues !) se mêle aux accents du monde entier : ukrainien, afghan, chinois et français… Une ambiance très cool flotte dans les rues, jusqu’au CBD (Central Business District), le quartier d’affaires où il n’est pas impossible de croiser un passant en costume-cravate, une planche de surf sous le bras. Quelques grains de sable au fond des chaussures et les yeux délavés par les bains de mer, les Sydneysiders (habitants de Sydney) vivent à 100 % l’Australian way of life. Avec trois cents jours de soleil par an, tout se passe à l’extérieur (même le cinéma !), à l’inverse de Melbourne l’intello.
Ourlée par des plages mythiques, Sydney n’est qu’à une heure et demie en voiture des Blue Mountains, de leurs canyons et cascades. La nature est partout et s’invite en ville malgré le prix du mètre carré qui ne cesse de s’envoler. « Sydney est le plus beau des studios », déclare Louise Olsen de Dinosaur Designs. « La plage est un prolongement de notre espace de travail. » Avec son compagnon Stephen Ormandy, ils s’inspirent des couleurs de la ville et du pays, de cette lumière singulière pour l’évoquer dans leurs bijoux et objets en résine. Leur atelier est à Redfern, un ancien quartier de junkies et de membres de la communauté aborigène, devenu aujourd’hui le repaire des créatifs.
En rois du « kawa », les Aussies (Australiens en argot) n’ont pas tardé à y installer des adresses branchées pour siroter un petit noir au soleil. La gentrification est en cours. Andrew Simpson, fondateur de Vert Design, y a aussi son atelier. Devant sa porte, dans le couloir, ses kayaks primés par The Good Design Awards (un prix national australien) rêvent de glisser sur les vagues. Andrew est inspiré par sa ville. « Autrefois, Sydney était remplie de petites embarcations. Tout le monde avait un bateau, les riches comme les pauvres. J’ai imaginé des kayaks et des barques en bois, en kit. L’idée était de redorer l’image du père aux yeux de ses enfants lors de l’assemblage. »
Plus difficile à monter qu’un meuble Ikea, ce kit reste néanmoins accessible aux non-bricoleurs. Dans le joyeux désordre de l’atelier, un ami d’Andrew met au point des lunettes en kit low cost (Dresden Optics), fabriquées à partir de poussière de noix de coco, de plastique ou de vinyle… À ses débuts, Vert était centré sur l’introduction du design dans le circuit du recyclage en fabriquant par exemple ces bracelets à partir des déchets en plastique rejetés par la mer, une thématique chère aux Sydneysiders. « Aujourd’hui, nous avons élargi notre champ pour répondre à des problèmes plus spécifiques de l’être humain, précise Andrew. Le marché du design est limité en Australie alors que nous sommes innovants. À l’étranger, notre pays véhicule l’image du bush et des marques de mode pour la plage. C’est pourquoi on en veut à Marc Newson qui se considère plus citoyen du monde qu’australien. Avec sa notoriété, il aurait pu changer l’image du pays. » Ce cliché est pourtant en train d’évoluer.