La découverte de la Fondation Jan Michalski provoque le trouble. Le canton de Vaud est en effet agricole, accoutumé aux fermes trapues solidement enracinées dans la terre. Or, près de Montricher s’élève au loin, comme une apparition, une rébellion architecturale : un plafond-parapluie troué comme un emmental flotte en plein champ, piqué sur ce qui semble être des cure-dents géants. Métaphore des forêts environnantes, cette canopée minérale fait face au mont Blanc auréolé de neige. Inspirant pour qui a le goût de l’écrit, ce paysage joue en effet un rôle fondamental lors des retraites proposées par la fondation aux écrivains, traducteurs et artistes du monde entier, ayant un lien avec la littérature.
La fonction de cette couverture percée de 270 alvéoles, chacune de taille et de forme différentes, est de fournir un abri intégral et néanmoins lumineux à la cité de l’écriture située en dessous. Le poids des 4 500 m2 de béton de 40 cm d’épaisseur est soutenu par 96 fins piliers de 9 à 18 mètres de hauteur, qui suivent la pente du terrain et font vaguer l’œil – et les pensées – vers le ciel. « Nous avons dû construire le coffrage en neuf étapes, du haut… vers le bas, à rebours des standards de la construction », confie l’un des chefs de chantier rencontrés sur place. En zoomant, on distingue clairement les différentes structures enchâssées, dont les cabanes suspendues très en hauteur entre les colonnes.
L’histoire de la fondation telle qu’on l’admire aujourd’hui s’étale sur quinze ans. Pour coordonner cet énorme chantier qui, dans sa première phase, a duré neuf ans (fondée en 2004, la fondation a vu les premiers travaux démarrer en 2009, pour une première ouverture au public en 2013), il fallait un chef d’orchestre. Ce fut le duo d’architectes suisses Vincent Mangeat et Pierre Wahlen, qui a érigé la canopée, puis les bâtiments, dont la bibliothèque publique de quatre étages. Au départ, seule construction ancrée au sol, sise au centre d’un parvis à ciel ouvert, celle-ci accueille le jury du Prix littéraire Michalski ainsi que lecteurs, étudiants et chercheurs, qui disposent de tables de travail incrustées dans ses murs lambrissés de chêne.
Conçu en fer à cheval, l’intérieur fait voyager à travers 80 000 ouvrages de littérature contemporaine en 12 langues, parmi lesquels on trouve des raretés. Mangeat et Wahlen ont aussi réalisé les niveaux inférieurs de la fondation, profondément enfouis et bien plus vastes que la surface visible. Là se situent les archives de la bibliothèque, mais aussi l’auditorium de 100 places (avec loges d’artistes), à l’acoustique impeccable, qui se transforme à l’occasion en salle de théâtre. Au-dessus, des lectures à voix haute ont lieu autour d’une vraie cheminée et ce foyer mue parfois en galerie où s’exposent les collages de Jacques Prévert, la musique de Boris Vian ou, actuellement, l’œuvre de l’artiste Anselm Kiefer (jusqu’au 12 mai).
Le sous-sol comprend par ailleurs une vaste cuisine professionnelle et un bar, bien utiles lors des vernissages et dédicaces. De retour au premier niveau, cette zone, de 15 mètres de hauteur à son niveau supérieur, est un espace réservé aux accrochages artistiques. Partout des baies vitrées, dont les vues profitent aussi bien aux visiteurs qu’à la quarantaine d’écrivains invités cette année à séjourner sur place quelques jours, ou mois, en fonction de leur projet.