À l’heure où les ressources planétaires s’épuisent, le regain d’intérêt pour les matériaux naturels n’a jamais été aussi fort. On redécouvre la pierre ou la terre, tandis que le succès du bois ne faiblit pas. Si construire en bambou peut paraître saugrenu en France, rien ne semble plus évident en Colombie, où il est disponible en abondance et utilisé depuis fort longtemps. Et pourtant… Né en 1949 à Manizales, l’architecte Simón Vélez s’est forgé une réputation internationale en faisant la promotion du bambou Guadua, espèce endémique des vallées colombiennes devenue son matériau de prédilection.
« En Colombie, le bambou est honni car il est synonyme de pauvreté, déplore-t-il. Même les personnes les plus défavorisées le détestent. Quand ils l’utilisent pour la construction, c’est parce qu’ils n’ont pas le choix ; dès qu’ils ont un peu d’argent, ils se tournent vers le béton. Le monde académique considère également le bambou comme un matériau pauvre pour un pays pauvre. » Pour autant, celui-ci offre des qualités mécaniques insoupçonnées, difficiles à imaginer lorsqu’on observe sa souplesse. Il y a trente-cinq ans, Simón Vélez a inventé une technique de construction consistant à remplir les intersections structurelles du bambou avec du mortier-ciment, le transformant en véritable « acier végétal ».
« C’est un matériau extraordinairement high-tech provenant de la nature. S’il est correctement utilisé, il est même plus solide que de l’acier ! » précise-t-il. Depuis, le Colombien construit un peu partout, démontrant l’évidence aux plus sceptiques. Parmi ses réalisations figurent le pavillon ZERI de l’Exposition universelle de Hanovre (2000), le pont piétonnier Jenny-Garzón à Bogota (2003), un éco-lodge à Guangzhou (2005) et un prototype d’habitat social (2014). Quelques références d’une production prolifique d’environ 300 projets qui tutoient toutes les échelles.
Simón Vélez n’a pas choisi sa destinée par hasard. « Mon père était architecte, tout comme mon grand-père. Je suis ainsi la troisième génération et j’ai un fils qui a également choisi d’exercer ce métier », raconte-t-il. Une histoire de famille qui ne semble pas près de s’arrêter, même si lui y voit davantage une passion commune. Lors de ses études à Bogota, il s’est forgé une posture critique face à un enseignement bien plus axé sur le style international que sur la culture locale. Un rejet qui a posé les fondations de sa pratique, solidement ancrées dans son pays natal. Lors de la Biennale d’architecture de Venise de 2016, il répond à l’invitation d’Alejandro Aravena, l’occasion d’offrir une résonnance internationale à son travail. Il pourrait être tentant d’esquisser le portrait d’un écologiste convaincu, mais ce serait faire fausse route. Loin d’être un militant vert, il pense néanmoins que sa discipline doit intégrer davantage le végétal. « L’architecture actuelle suit un régime exagéré et malsain, elle est totalement carnivore. L’état de la nature exige que nous revenions à un régime plus équilibré, plus végétarien. Néanmoins, je ne suis pas un écologiste fanatique. Si j’utilise les matériaux naturels, ce n’est pas pour sauver la planète, qui n’en a rien à faire, de l’humanité – plus vite nous la quitterons, mieux elle se portera –, mais parce que je les aime profondément ! » revendique l’architecte, fidèle à son image irrévérencieuse.
Peu connu du grand public, Simón Vélez a saisi l’opportunité des Rencontres photographiques d’Arles 2018 pour montrer son travail. Dans un pavillon monumental en bambou construit pour l’occasion, 40 photos de Matthieu Ricard y ont été exposées. Baptisé « Contemplation », le projet allie photographie, architecture, musique et méditation pour une rencontre inédite.
Simón Vélez vit et travaille aujourd’hui à Bogota avec sa femme et associée, Stefana Simic. Née en 1986 à New York dans une famille d’artistes et d’ingénieurs, celle-ci a vu l’architecture s’imposer à elle comme l’héritage parfait de sa filiation. S’ils œuvrent ensemble depuis quatre ans, le pavillon arlésien est le premier projet d’envergure que le couple réalise à deux. C’est aussi la première fois que l’architecte recourt à la préfabrication, l’assemblage étant uniquement mécanique, sans mortier, réalisé grâce à des pièces de connexion en acier. Trois mois plus tôt, le bambou se trouvait encore dans la forêt colombienne.
« C’est un miracle que le pavillon ait pu être construit. Je ne suis pas une personne religieuse, je ne crois pas aux miracles, mais c’est ce qui s’est produit ici ! », sourit-il. Dans le quartier arlésien de Trinquetaille, face à la vieille ville, l’édifice d’une surface de 1 000 m2 peut accueillir jusqu’à 500 personnes. Si Simón Vélez et Matthieu Ricard ne se connaissaient pas et n’ont pas travaillé ensemble sur le projet, leurs univers s’entrechoquaient avec une certaine évidence. Après sa vie arlésienne, le pavillon a été démonté et sera reconstruit ailleurs, probablement à Paris. Éco-responsable et recyclable, l’architecture du Colombien est depuis longtemps… dans l’air du temps. Simón Vélez n’en demeure pas moins très terre à terre : « Je ne défends pas l’architecture verte pour des raisons environnementales, seulement pour des raisons sensibles. La planète n’a pas besoin de nous, nous avons besoin d’elle, c’est différent. Si nous voulons continuer à vivre ici, mieux vaut la garder propre. »