« Il y a une constance dans le développement de matériaux et de systèmes structurels », indique Shigeru Ban, peu disert. Il faut dire que le Japonais excelle dans le minimalisme. Même à travers ses propos, du genre laconique. Mais quel regard porte-t-il sur sa carrière d’architecte ? Pour en savoir davantage, il faudra donc se plonger dans la lecture de Shigeru Ban. Complete Works 1985–Today, rétrospective en 696 pages parue chez Taschen, qui retrace l’essence de son œuvre sur les quatre dernières décennies.
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Shigeru Ban fait tomber les murs
Shigeru Ban. Complete Works 1985–Today répertorie ainsi les réalisations les plus emblématiques du Japonais ainsi que ses projets à venir. À travers ces bâtiments Shigeru Ban interroge les fondamentaux même de la pratique, supprimant ici et là les murs – ce qui requiert, il faut l’admettre, une certaine audace – comme dans la Wall-Less House à Nagano, au Japon.
« Réaliser de tels défis sur les structures est une manière de ne pas être influencé par un style à la mode d’aujourd’hui », note l’architecte. L’originalité, au sens premier du terme. Dans la Curtain Wall House, située à Tokyo, au pays du Soleil levant, il utilise à la place des murs traditionnels des rideaux de type « tente » suspendus en extérieure, faisant de la façade un « mur-rideau » au sens littéral du terme. « La Curtain Wall House est une proposition de conception d’une maison comme un corps humain. Au même titre nous portons plus de vêtements l’hiver et nous nous déshabillons en été, ce logement s’adapte à son environnement. »
L’importance de la durabilité
Directeur de la rédaction de Connaissance des Arts pendant plus de vingt ans, Philip Jodidio, auteur de l’ouvrage, un passionné d’architecture japonaise contemporaine. « Shigeru Ban remet en question les idées préconçues sur les matériaux, en particulier le carton et le bois », éclaire-t-il. L’agence Shigeru Ban Architects, répartis dans trois bureaux à Tokyo, Paris et New York, est en effet réputée pour ces innovations qui vont devenir un style : recycler des matériaux étonnamment résistants et précis, comme le papier et le carton, pour en faire des éléments de construction, mettant ainsi en avant l’importance de la durabilité en architecture.
L’intéressé affirme cependant n’avoir jamais cherché à intégrer une dimension environnementale dans sa pratique. « J’ai commencé à envelopper des structures de matériaux modestes avant que n’émergent les questions environnementales et durables », confesse-t-il. Il est vrai que ces questions n’ont occupé le débat public que récemment. Une manière de se dire précurseur, en toute humilité.
L’architecture humanitaire
En France, il a conçu la Seine Musicale sur l’Île Seguin, à Boulogne-Billancourt, et le Centre Pompidou-Metz. « La France est un pays qui m’a donné des opportunités merveilleuses », commente-t-il sobrement. Shigeru Ban est également reconnu pour ses contributions à l’architecture humanitaire, ayant conçu des abris temporaires abordables et faciles à construire pour les victimes de catastrophes naturelles, notamment après le tremblement de terre de Kobe en 1995 et l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, où il réalise des ouvrages en « papier tube », c’est-à-dire avec des rouleaux de cartons empilés et reliés par du métal, comme structure à ces abris d’urgence. « Très peu d’autres architectes ont travaillé de manière aussi constante dans ce domaine, reprend Philip Jodidio. D’autant plus que s’impliquer dans ces projets philanthropiques n’est pas un bon moyen de générer des revenus ».
Récompensé du prestigieux Prix Pritzker en 2014, considéré comme le Nobel du premier des arts majeurs, Shigeru Ban est de ces architectes devenus modèles pour la profession. Son travail a fortement contribué à l’évolution de la discipline, dont il n’a cessé de repousser les murs. Exceptionnel.
> “Shigeru Ban. Complete Works 1985–Today”, de Philip Jodidio, 200 euros aux Éditions Taschen.
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