Face à l’Océan, l’« Immeuble Pont », toujours de Louis Simon, emprunte à Le Corbusier son allure en nid d’abeille qui alterne niveaux sur pilotis, toit-terrasse et parois de verre. À l’intérieur, des duplex avec cheminée. Enfin, sur 600 mètres de long, le Front de mer (de Claude Ferret, Louis Simon et André Morisseau) embrasse le mouvement naturel de la baie en deux barres courbes. L’influence brésilienne, corbuséenne ou du Bauhaus s’inscrit de balcons en loggias tapissées d’aluminium de couleur sorti des ateliers Prouvé, dans les larges percées et les terrasses, et, à l’origine, sur le portique monumental.

Royan, pin-up moderne, sera chérie jusqu’en 1970. Mais, les eighties ne comprennent plus cette architecture en béton. Le casino et le portique du Front de mer disparaissent ; la poste et le palais des congrès sont dénaturés ; l’exquis auditorium fait pitié. Depuis peu, s’est mis en place une protection sous forme de « Site patrimonial remarquable » qui délimite les périmètres et recense paysages et constructions des années 1900 à 1950. N’empêche que la municipalité néglige son legs des années 50 tandis que les particuliers, mal sensibilisés, ferment les balcons – d’où, à Royan, le terme vernaculaire de « vérandalisation » –, remplacent menuiseries, huisseries et ferronneries par du PVC ou pervertissent les coloris.

Soucieuse de cet héritage en péril, Véronique Willmann-Rulleau, ancienne première adjointe de la ville, a fondé l’association Artichem, dont elle décrit ainsi l’objet : « Nous voulons faire connaître ce legs aux habitants. Ce n’est pas facile, car la protection du bâti n’est pas adaptée aux constructions du XXe siècle, la mairie n’exerce aucune surveillance sur les dégradations et l’aire de conservation a tendance à être enterrée. » L’architecte local Minh Liang confirme : « Il y a l’apparition du label “Site patrimonial remarquable”, mais rien ne suit, sauf initiative privée. »

La vente, l’an dernier, de la maison expérimentale dite « 8 x 12 » de Jean Prouvé au galeriste parisien Patrick Seguin et son démontage fin mars ont relancé le débat autour de la protection du patrimoine architectural de Royan. De surcroît, son précédent propriétaire n’est autre que Didier Quentin, député et ancien maire de Royan, dont le père, Marc Quentin, fut l’un des architectes de la reconstruction.

Mais, sur les douze pavillons de Prouvé construits en France après la guerre, seuls quatre sont classés et celui-ci ne l’était pas. « Comment ensuite faire respecter l’architecture par la municipalité et ses citoyens si le maire se débarrasse d’une œuvre authentique de Jean Prouvé ? Même privé, ce pavillon figure au dossier “Ville d’art et d’histoire” », note Véronique Willmann-Rulleau, scandalisée. « Il faut penser une maintenance pour ces bâtiments qui vieillissent, et celle-ci coûte cher », analyse Charlotte de Charette. On se prend malgré tout à rêver qu’un jour la « vérandalisation » sera rayée du vocabulaire royannais…