Rosita Missoni, la fondatrice de la griffe s’est éteinte à 93 ans

La géniale créatrice et fondatrice de la marque de maille au zigzag s'est éteinte à l'aube de 2025, le 2 janvier dernier. L'occasion de (re)découvrir un entretien qu'elle avait accordé en 2015 à IDEAT, en compagnie de son frère.

La styliste de mode et de design Rosita Missoni, 93 ans, s’est éteinte le 2 janvier 2025. Cofondatrice, avec son mari Ottavio Missoni (1921-2013), de la maison de mode à laquelle ils ont donné leur nom, elle s’investit ensuite dans Missoni Home, label cultivant au-delà de son motif zigzag culte, le goût audacieux des associations de couleurs et de motifs. En 2015, de passage Paris avec son frère Alberto Jelmini, la fratrie évoque (dans un français châtié) ce qui depuis toujours distingue l’univers Missoni. Rencontre.


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Jusqu’à quel point votre milieu familial, celui de l’usine textile des Jelmini, détermine votre parcours ?

Rosita Missoni : Nos grands-parents maternels habitaient près de notre propre maison, ainsi que de celles de nos deux oncles. Et derrière, il y avait l’usine. Nous avons grandi dans cette proximité. Nous jouions dans les ateliers, à la teinturerie et auprès des machines pour broder des étoffes. J’étais abreuvée de magazines de mode du monde entier dans lesquels je découpais des silhouettes. Tous les jours, je manipulais toutes sortes d’échantillons.

Rosita et Ottavio Missoni saluent à la fin de leur défilé printemps-été 1993 à Milan, en 1992.
Rosita et Ottavio Missoni saluent à la fin de leur défilé printemps-été 1993 à Milan, en 1992.

Que produisait l’usine de votre famille ?

Rosita Missoni : Des robes de chambres, des châles et des couvre-lits réalisés sur des métiers à tisser gigantesques.

Alberto Jelmini : Dans les années trente, nous faisions aussi de la soie brodée et du crêpe de chine brodé, qui servaient notamment à la conception de kimonos. Après la crise de 1929, face à un marché difficile, notre grand-mère et sa fille, notre mère, ont essayé de modifier leur activité. D’où cette idée de faire ces robes de chambre haut de gamme et des couvre-lits, l’élément clef des trousseaux de mariage.

Rosita Missoni : À cette époque, l’usine produisait de grands châles ourlés de longues franges. Ils pouvaient être teints moitié en blanc, moitié en noir. Plus tard, j’ai demandé à utiliser dans le stock de l’usine de mes parents certains échantillons textiles de ces productions. Rangés par couleurs, certains dataient du début du XXème siècle. Nous étions en 1969 et j’ai utilisé du fil rouge et du fil noir du début du XXe siècle pour confectionner d’abord deux deux pull-overs et j’ai continué. La création naissait de l’improvisation.

L’entreprise familiale se situe-t-elle toujours au même endroit ?

Alberto Jelmini : Oui, toujours, à Golasecca [en Lombardie, dans le nord de l’Italie, Ndlr] où nous habitons et où nous sommes nés, parce qu’à l’époque, les femmes accouchaient à la maison.

Rosita Missoni : Mon mari et moi aimions beaucoup aimions beaucoup cet endroit qui nous a, comme société autant que famille, protégé en quelque sorte. Il a conditionné le cadre de notre façon de vivre et de travailler ensemble. Ce lieu est quelque chose de central dans notre univers. Ce village était, à Noël, Pâques, lors des vendanges ou encore à la saison des cerisiers, le théâtre de retrouvailles entre 17 cousins. C’était toujours une fête.

Vous a-t-on parlé très tôt de transmission?

Rosita Missoni : À moi, non ! À cette époque, aux garçons, sûrement, oui. J’étais l’aînée de quatre enfants. Vivaient auprès de mes grands-parents, trois familles, la nôtre et celles de deux oncles avec chacun une fille et un garçon. Quand on se réveillait le matin, nous allions d’abord dire bonjour à notre grand-père dans la grande villa. C’est là que se déroulaient toutes les réceptions. Les huit enfants au total étaient bien plus proches que des cousins ordinaires. Nos parents travaillaient ensemble pour l’usine. Un oncle administrait l’entreprise, son fils a continué.

Alberto Jelmini : À l’époque, l’important était de maintenir un bon équilibre entre nous. Il était déjà décidé, comme un fait acquis, que chacun ferait quelque chose dans cette sphère familiale. Notre père était plutôt lié à l’aspect créatif et commercial. Tout reposait sur le personnage de notre grand-père, doté d’un grand charisme, qui décidait pour lui – et pour nous aussi ! [Rires]. Il était même d’usage lors des vacances de migrer ensemble dans l’une de ses maisons.

Le showroom Missoni Home, à Milan.
Le showroom Missoni Home, à Milan.

Quel souvenir gardez-vous de ce monde ?

Rosita Missoni : J’étais dans ma famille l’aînée qui, enfant, avait souvent des bronchites. Notre médecin avait dit à mes parents que je devais vivre au moins trois ans au bord de la mer. Ma mère avait été collégienne du côté de Gênes. Ils m’ont envoyé là-bas avant mes huit ans. Mes grands-parents ont donc acheté une maison à Gênes, à une dizaine de kilomètres de mon école. Nous pouvions ainsi nous y voir chaque week-end.

C’est là que mon grand-père, un fin gourmet, m’a donné l’habitude de manger du poisson. Nous nous voyions également dans notre loge sur le Lido, la plage de Gênes. Notre père qui avait un sens aigu du commerce s’entendait à merveille avec notre grand-père. Nous avons finalement grandi dans une famille patriarcale mais exempte de querelles.

Travailler en famille permet-il de tout se dire ?

Alberto Jelmini :  Cela dépend. Quand Rosita a créé Missoni, sa propre société, avec son mari Ottavio, nous avons continué notre activité. En 1983, 1984, nous avons commencé à créer des produits plus modernes que des couvre-lits pour intégrer davantage le monde de la décoration. Mais Missoni avait imaginé un si grand nombre de motifs, aux associations de couleurs et de dessins si originaux que nous avons décidé de lancer, dans notre société d’origine, une ligne Missoni pour la maison.

À l’époque, nous étions conscients de pouvoir nous charger nous-mêmes de l’impression, de la teinture, de la broderie et du tissage, en plus de la création. Quand Rosita a quitté l’univers de la mode, elle a demandé à venir travailler chez Missoni Home. Si bien que même en étudiant les demandes du marché, nous gardons notre style.

Le zigzag culte de Missoni.
Le zigzag culte de Missoni.

Quid de la transmission entre générations ?

Rosita Missoni : Complètement différente en ce qui concerne nos enfants. Les années soixante, soixante-dix sont passées par là. Il faut évidemment laisser les jeunes faire leur chemin en leur donnant une base. Moi, par exemple, la porte de ma maison, tout près de l’usine, leur est toujours ouverte. L’esprit de famille, c’est l’idée qu’ils peuvent passer déjeuner quand ils veulent. Ma famille a été très importante pour moi. Depuis que mon mari Ottavio n’est plus là, je repense souvent au fait qu’il m’avait dit avoir été fasciné par notre famille. Lui était le fils d’un capitaine au long cours et voyait son père qu’un mois par an. Le reste de l’année, sa mère voyageait à sa rencontre tous les deux mois, pour quinze jours, quelque part, dans quelques ports. D’où sa fascination pour notre clan même – si de temps en temps notre famille pouvait s’avérer légèrement étouffante. [Rires].

Alberto Jelmini : À dire vrai, ce n’est pas si facile de trouver un équilibre. D’un côté la famille et son activité transmet des valeurs et en même temps chacun montre au sein de l’activité familiale des capacités différentes. Si par exemple tout le monde se mettait à la création, cela ne marcherait pas. Grâce à Dieu, nous avons toujours réussi à trouver la position qui correspondait aux  caractéristiques de chacun.

Rosita Missoni : Et en même temps, je vois la réaction spontanément enthousiaste des élèves des écoles de design qui viennent visiter l’usine dont nous avons gardé l’atelier. Là, quand on travaille la maille, on peut dessiner quelque chose le soir et le voir le lendemain matérialisé en deux morceaux de trois mètres.

C’est quelque chose qui fascine toujours tout le monde, jeunes y compris. Peu d’ateliers de mode ont cette possibilité, notamment dans le domaine du tricot. Avant, l’attente d’un jacquard réalisé ailleurs, en Allemagne par exemple, prenait un mois. Aujourd’hui, il est réalisé quasiment tout de suite. Pour qui aime dessiner, voir vivre son croquis à l’instant, c’est fascinant. Les amies de mes petites-filles, qui avaient 25 ou 30 ans, quand elles sont arrivées à l’atelier, adorent l’idée de pouvoir composer un bijou, un chapeau ou un accessoire avec toutes sortes d’éléments à disposition. C’est tout l’intérêt et le charme de l’atelier.

Quand vous et votre mari avez créé Missoni, que vous disait-on ?

Rosita Missoni : Au début, mon père nous regardait un peu sceptique. Dix ans après, il nous a donné raison. Il nous a dit : « Pour faire ce que vous avez fait, il fallait juste vivre comme vous vivez. » Il est vrai que nous savions bien où nous voulions aller. Nous avons élaboré un style qui a fini par faire école.


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