La disparition, le 1er août 2023, de Rodolfo Dordoni, rappelle que quand un créateur s’éteint, son travail, lui, entretient sa mémoire. Cela ne facilite pas le deuil mais le préserve sûrement de l’oubli. Car plus que de mémoire, il s’agit bien de l’influence et de l’héritage d’un maestro.
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En septembre, le design international essaime dans les allées de Maison&Objet et les évènements de la Paris Design Week. Les acteurs du design italien répondent alors presque tous présent. Pour la première fois, l’architecte et designer italien Rodolfo Dordoni n’y assistera pas.
Depuis le 1 er août 2023, on sait qu’il ne sera plus d’aucune édition. Pour toutes celles et ceux qui, dans le creux de l’été, ont tenu à lui rendre hommage, l’homme manque indéniablement. Ce discret, rétif à l’excès de communication, n’en était pas moins un homme décrit par ses amis comme chaleureux. D’aucuns pointent même, sous l’apparente réserve, une dose d’ironie.
Une grande influence
Ce qu’il faut aussi souligner, c’est l’influence de cet homme. Né à Milan en 1954, Rodolfo Dordoni incarnait la génération d’architectes designers qui, en Italie, a succédé aux maestri, ces maîtres du design et de l’architecture d’après-guerre : Gio Ponti, Gaetano Pesce, les trois frères Castiglioni, Gae Aulenti ou encore Cini Boeri.
La liste des éditeurs avec qui Rodolfo Dordoni a collaboré est longue : Foscarini, Cassina, Kartell, Molteni, Moroso, Flos, Fiam, Venini, Poltrona Frau, Olivari, Poliform, Emu, Amini Carpets, Flaminia, Mutina, Roda mais aussi l’espagnol Kettal, l’allemand Dornbracht ou le français Coédition.
Diplômé en architecture du Politecnico de Milan en 1979, il avait également été directeur artistique d’Artemide, Cappellini, Fontana Arte, Foscarini et Roda.
Une longue collaboration avec Minotti
Pendant vingt-six ans, Rodolfo Dordoni était connu pour être le directeur artistique de Minotti. Au-delà de l’amitié née entre lui et les frères Minotti, c’est toute une approche du design qui a été développée. Une vision plus incarnée par des produits que par un concept mis au point dans un cabinet de conseil. Un design au service du confort et de l’esthétique, construit dans un esprit de grande qualité.
Rodolfo Dordoni incarnait, sans qu’il ne s’exprime dessus plus que cela, le minimalisme italien mais pas en mode « white cube ». Il était plutôt l’héritier d’un rationalisme italien, celui qui privilégie la maîtrise des volumes simples.
Une rigueur sans austérité – pardon pour le cliché mais c’est très milanais ! L’homme pouvait être réservé, avec un regard bleu clair dont l’intensité suggérait bien sa sensibilité. Un photographe pouvait l’asseoir sur une pile de magazines et il avait sa photo. Sa réserve, sans sécheresse, gentiment même, présageait plutôt d’un manque de disponibilité pour le superflu.
Les rares reportages sur Dordoni Architetti Associatti, qu’il avait fondé avec Luca Zaniboni et Alessandro Acerbi, dévoilait un lieu qui ressemblait à une grande bibliothèque sans fin, conjuguant les rayonnages de bois et les parois de verre, l’horizontal et le vertical, le travail en commun… avec des dossiers en carton aussi bien rangés que dans le studio d’Achille Castiglioni.
Des pièces iconiques
D’ailleurs, qui dit maestro du design dit objet culte. En 1990, Rodolfo dessinait la lampe Lumière pour Foscarini. Un abat-jour de verre blanc sur un trépied métallique.
Son idée, avec ce verre réalisé artisanalement en Vénétie, était de souligner l’esprit dans lequel travaillait Foscarini. Le designer voulait que le produit de l’industriel Foscarini évoque de lui-même ce savoir-faire artisanal local aussi fortement que les consonnances vénitiennes du nom de la société.
Quand il travaille pour la première fois avec Minotti en 1997, Dordoni propose le siège Suitcase en mode extravagant. Oui ! C’était juste pour voir jusqu’où les Minotti étaient disposés à le suivre… car il était tout sauf extravagant.
Quand il faisait des étincelles, c’était sans bruit. Aussi longtemps que ses créations côté design, que ses lieux côté architecture, seront dans nos vies, on ne parlera jamais complètement de lui au passé. Comme on devrait toujours le faire quand on parle d’un maestro.