À Reykjavík, près du cercle polaire arctique, le soleil d’automne peine à atteindre l’horizon. Les passants se font plus rares dans les rues, cloîtrés chez eux ou dans des bars animés jusqu’au petit matin. Une fois la nuit tombée et la chasse aux aurores boréales terminée, on se dit qu’il faudrait peut-être goûter la ville dans l’assiette, mais dans un pays où le requin fermenté tient lieu de gourmandise, la cuisine régionale pâtit de sa réputation.
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Reykjavík compte pourtant de nombreux lieux gastronomiques qui valent le détour, de la modeste cabane de pêcheurs Sægreifinn, où le poisson frais se déguste en brochettes assis sur des tonneaux, aux adresses étoilées, comme Óx ou Sümac. Parmi les derniers venus, l’hôtel chic et design Reykjavik Edition dispose d’un restaurant à la cuisine locale hors pair.
À quelques minutes de là, chez Yuzu – à la déco signée par le Studio HAF –, les burgers prennent un accent japonais des plus surprenants. Mais si certains établissements proposent aux voyageurs des menus en langue anglaise, des limites ont été posées aux velléités de l’oncle Sam: le roi du burger aux savates jaune et rouge et son confrère Dunkin’ Donuts ont ouvert, mais vite refermé leurs portes, faute de clients. Ici, tout se risque et se discute.
« Nous ne savons pas ce que nous ne pouvons pas faire… alors nous tentons tout! », plaisante Halla Helgadóttir, la directrice d’Iceland Design and Architecture, une agence qui milite pour des solutions durables. Dans les échoppes, on retrouve la même hésitation entre la préservation d’un héritage et l’envie d’extension à l’international.
Près du port, dans le fishpacking district (centre industriel de la pêche), les nombreuses boutiques de designers, comme Mikado ou Smids-Budin, prônent une esthétique locale, tandis que les multinationales de mode bon marché fleurissent aux alentours. Même l’imposante église luthérienne Hallgrímskirkja, dont le bâtiment reprend les colonnes de basalte typiques du pays, a longtemps fait débat.
Il aura fallu attendre presque cinquante ans entre la commande en 1937 à l’architecte d’État Guðjón Samúelsson (1887-1950) et la consécration de l’édifice en 1986. Les critiques trouvaient que le mélange des styles manquait de cohérence. Malgré les désaccords, l’église incarne aujourd’hui une cité en plein essor où la question de la sauvegarde de l’architecture est devenue pressante.
Dans la vieille ville, les nombreuses maisons aux façades colorées sont encore visibles, car elles ont plus de 100 ans et sont protégées par la loi, contrairement à des bâtisses plus récentes – même signées par des personnalités de renom – qui ont été détruites.
« La ville a poussé comme un champignon dans les années 20 et 30. Le gouvernement et les experts abordent enfin sérieusement l’idée de sa préservation », explique Halla Helgadóttir. Il ne s’agit plus de faire une hiérarchie chronologique, mais bien de se pencher sur la valeur culturelle d’un héritage dans son ensemble.
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Recyclage à grande échelle
Comme une mise à jour de la remarque de l’ancien Président français Valéry Giscard d’Estaing (1926-2020), en 1976, si l’Islande non plus n’a pas de pétrole, elle a eu une grande idée : s’en passer. Reykjavík produit la quasi-totalité de ses besoins en électricité grâce à l’activité géothermique et hydraulique de ses ressources naturelles et propose d’être entièrement libérée des énergies fossiles d’ici à 2050.
Les traditionnels bains publics et sources d’eau chaude se popularisent, comme l’atteste le Sky Lagoon, ouvert en 2021 dans le sud-ouest de la ville. Peut-être parce que la matière première est rare sur ces terres désertiques, les Reykjavikois sont passés maîtres dans l’art du développement durable.
L’artiste engagé Ólafur Elíasson, auteur de la façade de l’imposant centre philharmonique et palais des congrès Harpa, a installé un studio de recherche à Marshall House, dans une ancienne usine à poissons. Dans la rue Eyjarslóð, le Studio Plastplan propose une collection de mobilier urbain en plastique recyclé, tandis que les boutiques de seconde main sont nombreuses dans le centre-ville. Ici, la créativité n’est pas un effet de mode, mais un mode de survie.
Ainsi l’église Hallgrímskirkja est commissionnée pendant la dépression des années 30 et Harpa sort de terre alors que le pays est frappé de plein fouet par la crise financière de 2008. L’année suivante, le festival DesignMarch voit le jour, comme solution possible au cataclysme économique.
Reykjavík se pose aujourd’hui en symbole d’une nation à la croisée des chemins, qui se bat pour exister sur la scène internationale tout en protégeant son image de paradis isolé. La sculpture en acier poli The Sun Voyager, qui célèbre les 200 ans de la capitale, raconte l’histoire d’un peuple venu de Mongolie à bord d’un navire éternellement tourné vers le soleil couchant.
Après de nombreux débats, la sculpture de Jón Gunnar Árnason (1931-1989) est finalement installée sur un promontoire au bord de l’Océan… face au nord. Reste à savoir si ce compromis emblématique indique une fausse route ou simplement une nouvelle direction.
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