Le designer de 2019 doit-il forcément « penser international » ?
Sebastian Herkner : J’aime beaucoup le côté interculturel de mon travail. Je ressens comme un privilège le fait de pouvoir voyager autant, partout dans le monde. En Colombie avec les projets du label Ames ; à Taïwan, à Shanghai ou au Japon pour faire un « talk » (mélange de conférence et de discussion).
Dans un article où vous parliez de vos vacances familiales, vous disiez noter les spécialités régionales, tel un designer qui fait du sourcing…
C’est vrai. Et ce bien avant de me représenter ce que pouvait être le métier de designer. Quand j’étais jeune, avec mes parents, nous faisions du camping à travers l’Europe. Chaque été, pendant six ou sept ans, nous avons passé trois semaines en France, changeant d’endroit chaque jour. Ma mère, qui parle le français, adore les églises. Nous en visitions donc un maximum, à défaut de fréquenter les parcs d’attractions. À cet âge, j’avais plutôt envie d’aller à la plage, mais c’est comme cela que j’ai découvert l’artisanat, via le parfum à Grasse ou les gants de Millau. Ces vacances m’ont sensibilisé à la connexion entre savoir-faire et territoire.
Que faites-vous aujourd’hui pour que vos voyages ne soient pas superficiels ?
Je ne fais pas de tourisme. En mai dernier, par exemple, avec mon mari, nous sommes allés en Colombie pendant deux semaines pour travailler avec des artisans. On préfère cuisiner, boire et manger avec les locaux pour développer quelque chose en commun. C’est une façon de découvrir et d’apprendre beaucoup sur la culture de l’autre.
Peut-on laisser un nouveau produit parler de lui-même ou doit-on forcément communiquer ?
Le produit doit être intelligible, de par sa qualité et son apparence. Même le reflet de la lumière ou le jeu des ombres sur sa surface doit être évocateur. Tout cela contribue à sa personnalité.
Mais le produit parfait peut aussi rester dans l’ombre si on néglige d’en parler, non ?
Il est vrai que tout le monde ne se rend pas forcément compte du temps qu’il faut à un artisan pour fabriquer un bon produit. Comme je l’ai déjà dit, les fauteuils Mbrace de chez Dedon nécessitent quatre jours de travail. Il y a encore des gens qui croient que ce sont des robots qui s’en chargent, alors qu’il y a une équipe de soixante personnes pour tisser les assises ! Leur travail est si précis que les fauteuils semblent identiques. C’est pourquoi l’exposition « Homo Faber » à Venise, en septembre dernier, était incroyable. Hermès y montrait par exemple comment sont réalisées les coutures d’un sac. Il faut raconter ces processus qui expliquent aussi la valeur et donc le prix des produits.
Allez-vous continuer de diriger votre carrière où plutôt laisser les choses venir ?
Alors même que je travaille sur un produit en ce moment et que les douze dernières années sont passées très vite, je me dis que les choses doivent se faire étape par étape, que cela prend du temps et que c’est plutôt bien de grandir lentement. J’ai maintenant développé des contacts avec de nouveaux éditeurs et j’ai des projets pour les deux années à venir. J’en suis très content mais je garde à l’esprit que, de nos jours, tout peut changer très rapidement.
Accepteriez-vous maintenant de vous atteler à l’architecture intérieure d’un hôtel ?
Concevoir toute une atmosphère pour un hôtel, un restaurant ou une boutique, apporter de la chaleur et de l’humanité dans un lieu de séjour temporaire me semble un défi incroyable. L’entreprise est risquée mais très intéressante. Oui, j’aimerais beaucoup me lancer. Vous pouvez mettre mon numéro de téléphone à la fin de l’interview pour que l’on puisse me joindre ! (Rires.)