Née au Liban mais ayant grandi au Japon et étudié à la Rhode Island School of Design (États-Unis), Nada Debs explore les croisements Orient/Occident mais aussi ceux, beaucoup plus rares, Moyen-Orient/Extrême-Orient. Un axe que cette femme qui se passionne pour la méditation nomme joliment « East meets East ». Elle signe aussi bien des chantiers de décoration (les partitions murales du Liza Paris ou le futur réaménagement du siège de la Ligue arabe, au Caire) que des collections de meubles et d’objets 100 % crafted in Lebanon. En avril dernier, « Funquetry», sa dernière ligne de marqueterie réinventée, exposée à Milan chez Rossana Orlandi, a rencontré un beau succès. Une visite à Beyrouth, dans la nouvelle boutique-écrin qu’elle a ouverte ce printemps au rez-de-chaussée de l’immeuble années 30 qui abrite son studio à Gemmayzé, nous a permis de mieux connaître cette discrète. Rencontre.
Vous êtes une des pionnières du design libanais, à quoi ressemblait la scène locale quand vous avez commencé ?
Nada Debs : En 2000, je suis rentrée de Londres où je dessinais des meubles sur mesure pour des clients privés. Je venais donc d’un environnement – l’Angleterre – où l’artisanat était valorisé tout comme le vintage et les antiquités. En arrivant à Beyrouth, j’ai été surprise de voir que les boutiques ne proposaient que les grandes marques internationales. Le travail du bois ou du métal était certes bien développé localement, mais cela ne concernait que le mobilier classique, les boiseries. Il est vrai qu’à l’époque, il n’y avait aucune formation sur le design à l’université. Quelques étudiants essayaient de faire des recherches sur la production qui avait suivi la fin du mandat français, mais, la plupart du temps, les architectes d’intérieur se contentaient de demander à des menuisiers de fabriquer une table en s’inspirant d’une photo découpée dans un magazine. Je me suis alors dit que ce serait intéressant de tenter l’aventure…
À Londres, mes clients me demandaient de leur créer des pièces de mobilier assorties à la table qu’ils avaient déjà, mais concevoir à partir d’une feuille blanche était un vrai challenge. Au même moment, un ami qui voulait ouvrir un restaurant libanais à Londres [Fakhreldine, NDLR] m’a demandé de l’aider à le décorer et je me suis interrogée : en termes de design, qu’est-ce qui est libanais ? arabe ? moyen-oriental ? J’ai donc commencé à explorer l’artisanat régional. Je connaissais ces miroirs incrustés de nacre qui étaient chez mes grands-parents, donc je suis partie à Damas, parce qu’on m’avait dit que c’était là-bas que je trouverais les artisans qui les réalisaient. Ce que j’ai découvert alors était un savoir-faire extraordinaire. Mais tout était trop décoratif et trop chargé pour moi qui ai grandi dans l’épure japonaise. Je les ai donc mis au défi de ne créer que des cercles ou des carrés pour des panneaux que j’imaginais alors pour le restaurant de Londres. Puis j’en ai fait une petite table, qui s’est retrouvée exposée à la Biennale de Saint-Étienne…
C’est ainsi que vous avez jeté les bases de votre style et que votre nom a commencé à être connu à l’international ?
J’ai juste ouvert la voie, car je venais d’un autre environnement et je portais un regard nouveau sur l’existant ici. J’étais très inspirée par la géométrie arabe dans laquelle tout commence par un cercle, qui symbolise l’infini, et qui est ensuite divisé en polygones. J’ai donc pris ces motifs, les ai simplifiés, épurés, « zenifiés ». Je les ai travaillés de façon artisanale mais avec des matériaux modernes comme le Plexiglas et c’est devenu, en quelque sorte, ma signature.
Pourquoi ce choix du Plexiglas ? Ce n’était pas un matériau local…
Dans les années 70, le Plexiglas était considéré comme un signe de modernité, au Liban comme ailleurs. Mais ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant le matériau lui-même que la transparence qu’il apportait. D’où ce désir de l’utiliser pour des moucharabiehs, qui sont faits pour que les femmes puissent voir sans être vues. Or, aujourd’hui, nous avons le choix. De voir mais aussi d’être vues. J’ai poursuivi avec ma série « Floating Stools », des inclusions de tissus de kimono ou de brocards vintage dans du Plexi, et j’ai ouvert en 2003 ma boutique à Saifi Village [un quartier du centre-ville qui se voulait un village art, mode et design, NDLR]. Il s’agissait d’ailleurs, à l’époque, davantage d’un studio donnant sur la rue que d’une boutique à proprement parler !
Ce concept, qui est également une invitation à découvrir votre travail, c’est exactement ce que vous apportez de nouveau ici avec cette boutique ouverte en mars, au rez-de-chaussée de l’immeuble qui abrite votre studio à l’étage…
La nouvelle boutique est un succès. Nous avons tout le temps des visites, des clients de passage, mais aussi des architectes et des designers qui veulent collaborer avec nous. Or les projets d’architecture intérieure représentent l’essentiel de mon activité.
Quels sont vos prochains projets ?
Je suis – et serai toujours – très attachée aux savoir-faire artisanaux et à la préservation de notre héritage. Mais je pense qu’il est essentiel aujourd’hui de jouer la carte des collaborations et de la démocratisation du design, en mixant davantage artisanat et technologie.