Vous êtes peu d’architectes français à avoir réussi à vous exporter. Opportunité ou stratégie ?
Plutôt une réelle envie de ne pas rester cantonnée à la France et parce que j’ai une passion pour les voyages. L’architecture est un métier complexe. Voyager permet d’enrichir sa pratique, de voir comment les autres villes gèrent leur croissance et de rapporter son expérience. Je suis souvent invitée à faire des conférences dans d’autres pays, ce qui me permet d’être reconnue à l’étranger et d’y avoir un accès plus facile à la commande. Cela dit, on ne peut pas vraiment dire que j’aie « réussi à m’exporter ». La majeure partie de mes projets est encore dans l’Hexagone, même si je commence à en avoir quelques-uns en dehors.
Passionnée par les voyages, mais aussi par la ville…
Certaines métropoles mondiales abritent aujourd’hui une population considérable et vivent une accélération de leur densification urbaine, de leur croissance, de leurs flux… Une ville est parfois plus puissante qu’un État ! Je trouve fabuleux de voir le Grand Paris se mettre en marche. Cela représente 10 millions de personnes ! Les villes deviennent des lieux de civilisation fondamentaux qui vivent de manière accélérée nos changements de société. En voyageant, on constate qu’il existe des différences profondes entre les villes asiatiques, arabes, américaines ou européennes. Alors qu’il y a vraiment un « pays » européen, une identité commune très forte. Je me sens extrêmement européenne !
La conséquence, c’est une concurrence toujours accrue entre ces métropoles…
Elles doivent veiller à garder leur histoire, leur caractère, leurs racines mais aussi se projeter dans l’avenir : répondre aux nouveaux modes de vie, aux flux migratoires, aux besoins d’écologie, de compacité… Ces questions passionnantes concernent les architectes, les urbanistes mais aussi les personnalités politiques. Or elles sont absentes du débat public. Pourtant, quand vous faites un IDEAT spécial architecture, les gens l’achètent, le lisent, il y a une vraie envie d’architecture et une réelle volonté des habitants de prendre part à la politique de leur ville. Nous travaillons en ce moment sur un projet en plein cœur de Stockholm, en Suède. Je ne dis pas que c’est mieux ailleurs qu’en France, mais il est toujours intéressant de travailler à l’étranger.
Pour se confronter à d’autres systèmes ?
Oui, pour comparer les différentes façons de procéder. En Suède, avant de déposer un permis de construire, on négocie un projet. Depuis que nous avons gagné ce concours il y a un an et demi, on le partage avec les différents acteurs. Et c’est une fois qu’il est négocié et validé qu’on peut déposer le permis de construire. Ce n’est pas forcément plus rapide, mais c’est moins frustrant pour les habitants car ils savent que, lorsqu’un permis est déposé, c’est qu’ils l’ont approuvé. Il y a un côté serein dans le processus.
Vous venez de construire, à Paris, le cinéma Alésia. Quelle était la démarche ?
La volonté de Gaumont Pathé était de permettre au cinéma de revenir en ville et de donner aux habitants l’envie d’y aller. L’accent est mis sur les espaces d’accueil et de déambulation, nobles et généreux. Le bâtiment repose aussi sur l’idée de faire sortir le film de la salle, d’être progressivement baigné dans l’univers du cinéma avant d’y pénétrer.
Peut-on considérer la façade comme le point d’orgue du projet ?
Tout à fait. Une façade transparente revêtue d’un filtre de LED qui ne fait pas écran, à travers laquelle on devine le public la nuit tombée et qui, depuis l’intérieur, permet de percevoir la ville. Ce cinéma s’inscrit dans la tradition de la Ville lumière. Permettre à Gaumont Pathé d’afficher sa présence sur la place d’Alésia avec une très belle architecture est un message positif. Les cinémas historiques, comme le Grand Rex, avec leurs belles façades, sont devenus des bâtiments iconiques de la ville.