Le tapis est une affaire de famille chez les Kath. Sinon, auriez-vous travaillé dans ce domaine ?
Jan Kath : J’ai pour ainsi dire grandi sur des piles de tapis. Mon père, Martin, m’a très tôt emmené dans des pays lointains, à l’occasion de ses longs voyages. Nous nous asseyions ensemble dans des entrepôts, dans des manufactures et dans des bazars pour admirer les créations les plus merveilleuses. Cela a aiguisé mon regard et m’a ouvert à cet univers d’une manière unique ; impossible de trouver l’équivalent à l’université ou dans un cours de dessin ! Je peux donc dire que les tapis font partie de mon ADN.
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer des tapis et à fonder votre propre compagnie ?
Une coïncidence ! Après l’école et un apprentissage dans le commerce, j’avais envie de découvrir le monde. J’ai fait mon sac et je suis parti pour l’Inde. J’ai passé presque un an sur la route avant d’arriver au Népal. À Katmandou, chemin faisant, j’ai rencontré un ami de mon père, un producteur allemand de tapis, qui avait une manufacture sur place. Il m’a invité à boire un café, ce que j’ai accepté avec gratitude, car, à cette époque, le café était encore quelque chose d’extrêmement rare dans ce pays. Sans compter que j’étais fauché ! Nous avons discuté. Il se plaignait de devoir revenir au Népal trop régulièrement pour vérifier la qualité des tapis. J’ai compris que c’était une chance et lui ai proposé de remplir cette fonction à sa place. Pour moi, cela signifiait rester plus longtemps en Asie. Puis, une chose en amenant une autre, il m’a proposé quelque temps plus tard de m’occuper de la production. Comme je n’avais pas de budget pour payer un designer, j’ai commencé à dessiner. J’ai d’abord créé des motifs qui, selon moi, pouvaient rencontrer un succès commercial. Mais à un moment donné, je n’en avais plus envie et j’ai mis « tous mes œufs dans le même panier ». J’ai fait nouer des tapis selon mes propres goûts et… que puis-je dire d’autre ? Cette décision m’a valu un franc succès.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Selon moi, l’inspiration peut se trouver partout. Durant un match de football, depuis le hublot d’un avion avec vue sur la forêt tropicale ou encore sur une nappe colorée dans un restaurant russe, à New York. Je suis comme une éponge, j’absorbe les idées et les garde souvent dans ma tête pendant des années, voire des décennies, jusqu’à ce qu’elles réapparaissent, un jour, dans mes créations.
Aimez-vous explorer de nouvelles techniques, repousser les limites ?
Je pense qu’il n’est pas exagéré de dire que notre collection « Erased Heritage » est un manifeste en faveur du style. Non seulement j’ai utilisé des dessins traditionnels que j’ai intégrés à mes créations, mais j’ai également développé une méthode de finition complètement nouvelle, qui donne aux tapis qui viennent de tomber du métier à tisser l’impression d’être âgés de centaines d’années. Nous travaillons le tapis très minutieusement, en le brûlant et en le rinçant à plusieurs reprises. Soie et laine ne brûlent pas vraiment mais réagissent au feu différemment. Il n’y a jamais rien eu de tel auparavant et je dois admettre que les premières expériences avec cette technique ont été très excitantes.
Comment expliquez-vous l’engouement actuel pour le tapis ?
À l’époque où je réalisais mes premiers dessins, le tapis ne jouait aucun rôle fondamental dans les intérieurs contemporains. Cela a beaucoup changé. Aujourd’hui, il est partout. Cela est dû au fait que nous avons dépoussiéré son image. Nous l’avons propulsé dans une nouvelle ère, avec une façon de le penser différente. Les gens recherchent le confort : à quoi cela rime-t-il de posséder une maison extrêmement élégante si c’est pour y avoir froid aux pieds ? (Rires.) Même en ces temps difficiles, nous notons que la demande de tapis augmente. Les gens ont passé plusieurs semaines confinés dans leur appartement et cela leur a donné le temps de réfléchir à la façon dont ils veulent vivre et envisager le futur. L’acquisition d’un tapis, qui sera souvent au cœur d’un appartement, fait partie de ces nouvelles considérations. Par ailleurs, de plus en plus de clients apprécient la qualité. Ils ne veulent pas d’un produit fabriqué rapidement et à bon marché, mais bien quelque chose qui valorise l’artisanat.
Vous collaborez avec le label STEP* pour garantir de bonnes conditions de travail. C’est donc que vous estimez avoir une responsabilité envers les personnes qui travaillent pour vous au Népal, en Thaïlande, au Maroc et en Inde ?
Bien sûr ! C’est une question de décence, mais c’est aussi lié au contexte économique. Nous avons la prétention de produire les plus beaux tapis du monde. Comme nos créations sont souvent extrêmement compliquées, nous avons également besoin des meilleurs noueurs. Et pour maintenir une qualité élevée sur le long terme, nous devons bien les payer et leur offrir un environnement de travail attractif.
Comment abordez-vous la question du respect de l’environnement ?
La question de la durabilité est devenue de plus en plus importante ces dernières années, pour nous comme pour les consommateurs. Nous utilisons de la laine non traitée, peignée (cardée) et filée à la main selon des traditions séculaires et, pour les teintures, nous employons des pigments naturels testés écologiquement et produits en Suisse. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire à cet égard, notamment en matière de transport. Le nouage de tapis est un processus lent : il faut entre trois et six mois pour réaliser un tapis de 7,5 m2. Cela met la patience de nombreux clients à rude épreuve, lesquels ne veulent pas perdre davantage de temps avec le transport. C’est pourquoi la plupart de nos tapis sont livrés par avion. D’un point de vue écologique, il serait judicieux de transporter les tapis par voie terrestre, jusqu’au port le plus proche, puis de les expédier par bateau. Nous travaillons actuellement sur ce sujet.
Vous avez fait le choix d’installer vos showrooms en Allemagne, à New York, à Vancouver et à Vienne. Envisagez-vous d’autres sites ?
Dans les semaines à venir, un nouvel espace ouvrira à Berlin. Cela ne sera pas un showroom, mais plutôt une grande galerie à proximité de Tiergarten, dans le quartier du célèbre zoo de Berlin.
La collection « Spectrum » a un an. Vous avez ajouté des modèles, comme Tenno, cette année. D’autres sortiront en 2021. D’où en vient l’inspiration ?
Il y a de nombreuses années, lors d’un vol depuis la Mongolie qui me ramenait en Allemagne, j’ai eu la chance de voir des aurores boréales au-dessus de la Sibérie. Le jeu des couleurs était incroyablement beau et a captivé mon cœur. Il y est resté gravé durant des décennies. Dans ma dernière collection, « Spectrum », j’ai traduit de vieilles photographies en tapis. Seuls les tisserands les plus expérimentés sont capables de réaliser des changements de couleur aussi subtils, harmonieux et fluides et je suis fier que nous soyons désormais en mesure de créer ces motifs très compliqués dans nos ateliers, à Katmandou.
Quelles seront vos prochaines références ?
Au moment où nous parlons, une toute nouvelle collection se trouve sur les métiers à tisser. Elle interprète d’anciens motifs de tapis… français !
> Produits visibles sur le site internet de Jan Kath.