Vous allez réaliser la cathédrale nationale du Ghana, à Accra. Ce projet a-t-il une signification particulière pour vous ?
En réfléchissant à cette commande, j’ai compris que c’était un moment important, une occasion pour ne pas simplement reproduire une église conçue dans la tradition et selon les modèles occidentaux, mais pour reconnaître que le christianisme africain est unique et un nouveau maillon de la religion chrétienne. Le design a été inspiré par la chefferie et la culture akan, de sorte que le bâtiment est envisagé comme une « canopée » baoman au-dessus de l’auditorium, à la façon des larges parasols que l’on retrouve sur les marchés africains. Ce que nous construisons est bien plus qu’une simple cathédrale, c’est un bâtiment public pour les Ghanéens, pour qu’ils y vivent une expérience différente. Ce n’est pas un centre commercial, ce n’est pas un endroit où il faut payer pour consommer, c’est un espace conçu pour le bien-être, un lieu pour parler des aspirations collectives, de la foi de la nation et de son avenir. C’est un immense honneur de pouvoir construire un projet de cette envergure dans mon pays.
Les architectes africains ou d’origine africaine sont peu présents sur la scène internationale…
C’est vrai même si je pense que les choses sont lentement en train de changer. Il suffit de regarder le travail de Mariam Kamara ou celui de Francis Kéré… Je crois fermement en l’idée d’une architecture planétaire. Cela me rend heureux !
Quel est pour vous le rôle des architectes dans nos sociétés contemporaines ?
Aujourd’hui, les architectes sont tenus de construire dans des contextes culturels où les gens comprennent les bâtiments. Nous ne sommes plus à la Renaissance ou au Moyen Âge. Lorsque les architectes sont mis dans l’équation, ils peuvent être techniquement très compétents et progressistes, mais ce n’est pas suffisant. On leur demande actuellement de résoudre des problèmes complexes dont la réponse ne peut être aussi binaire que « je peux le faire » ou « je ne peux pas le faire ». On attend d’eux qu’ils réfléchissent aux conditions historiques, qu’ils comprennent les nouveaux environnements, qu’ils tiennent compte de la démographie, des diasporas et des programmes multiculturels au sein des nations, des villes et des États, jusqu’aux répercussions émotionnelles de l’architecture sur chaque utilisateur ! Je crois, métaphoriquement, que la question de la recherche pour un architecte est semblable à celle d’un acteur. Il doit en quelque sorte jouer le rôle de l’usager final afin de comprendre la meilleure façon de créer un monde pour cette personne. Je pense que plus l’architecte est capable d’imaginer ce que pourrait être cette expérience individuelle, meilleure est l’architecture.
Les architectes ne sont d’ailleurs pas toujours appréciés du public. Quel est votre sentiment ?
Je pense que l’architecture doit élargir son répertoire, c’est-à-dire son champ d’action, pour que le public puisse adhérer à ce que nous faisons et le comprendre. Je ne crois pas que l’ère de l’architecte-auteur soit révolue, contrairement à ce que certains pensent. Il y a beaucoup de débats aujourd’hui selon lesquels l’architecte-auteur ne serait plus nécessaire. De plus, ce que nous constatons, c’est que l’orchestre de l’architecture a besoin de s’ouvrir à de nouvelles compétences, c’est-à-dire que les personnes impliquées dans les projets proviennent d’horizons variés. Nous ne sommes plus seulement des équipes techniques de construction, nous avons besoin de mieux comprendre les mutations sociales et émotionnelles, ce qui nécessite d’adjoindre aux équipes d’architectes des artistes, des sociologues ou des scientifiques pour nous aider à comprendre les nouvelles nuances de la complexité humaine, les questions comportementales, celles autour de l’identité, de la façon dont l’architecture affecte nos émotions et notre état de bien-être.
Vous participez au programme Rolex Mentor & Protégé. La notion de transmission est-elle importante pour vous ?
J’ai accepté d’être mentor parce que je crois en la vision défendue par ce programme. J’ai choisi de travailler avec l’architecte nigérienne Mariam Kamara. Personnellement, j’ai bénéficié d’un mentor, non pas de façon formelle comme Rolex l’organise, mais j’ai eu beaucoup de chance d’avoir une relation étroite avec Eduardo Souto de Moura, un architecte déterminant pour moi et un véritable confident. Je reconnais le pouvoir du mentorat et l’importance qu’il revêt lorsque vous commencez à émerger et à vous faire entendre. Je me suis senti obligé d’accepter ! Quasiment à chaque moment important de ma carrière, il y a eu quelqu’un pour l’intensifier. Par conséquent, je sens que j’ai moi aussi besoin de faire quelque chose et de rendre ce qu’on m’a donné. Comme j’enseigne depuis de nombreuses années, je comprends l’énergie que cela requiert, mais aussi combien il est gratifiant de voir des étudiants réussir et s’envoler. Il y a quelque chose de très spécial dans l’idée de choisir quelqu’un à qui vous offrez beaucoup d’opportunités. Avec le programme Mentor & Protégé, s’associer à un ou une architecte avec qui interagir pendant deux ans est magique. Alors, quand cette opportunité s’est présentée, j’étais ravi, mais aussi honoré. Olafur Eliasson (ancien mentor en arts visuels du photographe Sammy Baloji, pour la Rolex Arts Initiative, NDLR) m’a également fait comprendre que je serais stupide de rater cette occasion.
Pouvez-vous nous parler du National Museum of African American History & Culture, à Washington, votre projet le plus important à ce jour et un bâtiment hautement symbolique ?
Un projet d’une telle résonance culturelle implique la responsabilité de rendre justice à l’histoire complexe d’un peuple encore trop rarement évoquée à travers des récits. Ce musée était un symbole très attendu de la contribution des Afro-Américains à l’histoire et à l’identité de la nation. Il représente beaucoup pour tant de gens ! C’était lourd et difficile, mais aussi revigorant et incroyablement chargé de sens.
Au regard de votre notoriété, vous sentez-vous porte-parole de l’architecture en Afrique, ou absolument pas ?
C’est passionnant de prendre part à la réinvention du monde de l’architecture sur le continent africain. Nous travaillons sur plusieurs plans directeurs et sur un grand projet pour le siège de la Banque mondiale à Dakar, au Sénégal. Nous avons aussi des projets culturels en cours au Ghana et ailleurs. Je suis très fier et honoré qu’un architecte africain soit enfin reconnu par la communauté internationale. Je regrette qu’il ait fallu tant de temps pour que cette reconnaissance arrive. J’espère que mon succès inspirera des jeunes issus de minorités, qui se sentent exclus de la communauté, et les aidera à réaliser que le succès n’est plus hors de leur portée.