Pourquoi avez-vous choisi de devenir architecte ?
David Adjaye : Mon éducation a certainement façonné ma façon d’appréhender l’espace. Je suis d’origine ouest-africaine (Ghana) bien que je sois né en Afrique de l’Est (Tanzanie). Je me suis construit avec cette double influence culturelle. Très tôt, j’ai été en contact avec différentes façons de vivre et confronté à des appréciations de l’espace éclectiques. Enfant, on traverse tout cela en douceur, sans réellement s’en rendre compte. Ce n’est qu’à mon arrivée à Londres que j’ai apprécié la chance que j’avais eue d’avoir pu éprouver et expérimenter autant de conditions spatiales différentes au cours de mon enfance. Le fait que mon frère soit en chaise roulante a cimenté ma décision de devenir architecte. Quand nous étions plus jeunes, il n’y avait pas de loi pour favoriser l’accessibilité des personnes handicapées. Toute excursion signifiait être transporté tant bien que mal dans les escaliers. Pour mon frère, l’espace était donc toujours restreint, ce qui portait atteinte à sa dignité.
Vous avez beaucoup voyagé durant votre enfance. Pour quelle raison ?
Mon père a choisi en conscience de devenir diplomate pour que sa famille puisse voyager et voir le monde, le « monde moderne ». La relation entre le moderne et l’ancien est donc très présente dans mon travail, de même que la négociation entre différents contextes sociaux et culturels. Cela fait partie intégrante de mon approche. L’essentiel de mes bâtiments se trouve dans des villes cosmopolites, métropolitaines, ou dans des endroits où les différences culturelles se négocient tout le temps.
De quelle façon votre culture protéiforme influence-t-elle votre architecture ?
Ce n’est pas seulement ma propre culture qui influence mon architecture, mais toutes les cultures. Quand je commence à concevoir un bâtiment, je passe des mois à faire des recherches sur la région, la culture locale et la communauté concernée. Ensuite, je m’assois et je prends tout cela en compte afin que mon imagination crée un projet qui reflète le contexte et apporte de nouvelles couches dans le récit d’un lieu. Un bâtiment devrait toujours apprendre de sa communauté et converser avec son environnement plutôt que de s’imposer comme un objet architectural dénué de références aux personnes et au lieu qui constituent le « déjà là ».
Quelle autre profession auriez-vous pu exercer ?
Je ne suis pas sûr que j’aurais pu faire un autre métier… J’ai toujours été incroyablement intéressé par le dessin et la création d’espaces. Après avoir rejoint le Royal College of Art à Londres, j’ai réalisé que j’avais la chance d’avoir trouvé ma voie. Une sorte d’« appel », faute de trouver un meilleur mot ! L’architecture n’est pas faite pour les personnes au cœur fragile et, bien que j’adore ce que je fais, cette carrière a été et continue d’être difficile : un défi véritable.
Vous avez différents bureaux dans le monde. Quelles sont les villes les plus inspirantes pour vous ?
J’ai effectivement des bureaux à New York, à Accra (la capitale du Ghana, NDLR) et à Londres. Je trouve qu’il y a une merveilleuse synergie, car ces trois plaques continentales (nord-américaine, eurasienne et africaine) sont les trois zones de dispersion de la diaspora africaine. Penser à l’histoire critique des Noirs et à l’émergence de pratiques artistiques dans ces diasporas, pouvoir travailler et avoir des bureaux dans ces lieux différents est pour moi très précis et très stimulant.
Depuis quelques années, Londres, comme d’autres villes, est animée d’une frénésie constructrice. Quel est votre sentiment quant aux métropoles contemporaines ?
Les villes croissent plus vite que jamais. Aujourd’hui, nous pouvons faire face à l’explosion de l’urbanisme et au déplacement inexorable des habitants vers la ville, ce qui aurait été impossible avec les techniques du passé. Des capitales comme Londres et Paris vont continuer de prendre de l’ampleur et les tours à haute densité feront inévitablement partie du développement urbain. Ce qui m’inquiète vraiment, c’est la valeur réelle que ces projets d’aménagement de grande envergure apportent à la vie urbaine et aux collectivités. Pour moi, l’architecture publique est un acte social. Elle offre l’opportunité de créer bien plus qu’un bâtiment qui répond à un programme. Il s’agit de défendre les citoyens et de les inciter à croire en la vie civique, en les invitant à participer. En ce sens, chaque nouveau chantier dans nos villes offre une occasion précieuse d’introduire une réflexion sur l’espace et les valeurs communes. Cela représente un potentiel et une responsabilité énormes que nous, architectes et urbanistes, ne devons pas sous-estimer ni négliger.
Comment résumeriez-vous votre vision de l’architecture ?
Je vois vraiment l’architecture comme un outil narratif. C’est un moyen de perpétuer l’histoire d’un lieu et de faire émerger de nouveaux chapitres. Pour moi, le plus intéressant est de contribuer à rendre visibles les vestiges d’endroits presque oubliés qui sont souvent négligés. Le défi d’une pratique globale est de créer des projets qui comprennent et résonnent avec leur contexte d’une manière profondément significative et sophistiquée. C’est une tâche difficile lorsque vous travaillez dans des lieux qui ne vous sont pas familiers. Il ne s’agit pas d’altérer ou d’« exotiser » un lieu, mais de trouver une véritable empathie.