Pourquoi le projet Liquid Marble a-t-il nécessité tant d’efforts ? Geste artistique ou ode au marbre ?
N’étant pas représentant de commerce pour les marbriers, je ne cherchais pas du tout à montrer les possibilités du matériau. C’était le cadet de mes soucis. Je voulais depuis longtemps vérifier si l’expérience d’être assis face à la mer sans besoin de parler ni de penser pouvait être reproduite loin de l’océan. J’ai essayé tout un tas de techniques, pas forcément en marbre. Des sculpteurs virtuoses se sont penchés sur le sujet, mais cela n’aboutissait qu’à une sorte d’image sculptée. J’ai essayé avec des images en haute définition auxquelles on donne du volume, avant de finalement découvrir des logiciels capables de restituer un paysage marin grâce à des informaticiens qui ont mis au point l’équation géométrique particulière de ces reliefs-là. Car derrière ces courants et ces crêtes à l’air chaotique se cache une vraie logique de formes. Le marbre faisait sens parce qu’à l’instar de l’océan, c’est une matière qui nous précède de quelques millénaires et qui nous survivra.
Êtes-vous à l’initiative de ce projet ?
Je l’avais en tête depuis longtemps. J’ai attendu une commande, en l’occurrence de marbriers qui m’ont demandé de réaliser un projet dans leur matériau. Leur désir de communication et mon envie se sont rencontrés.
Liquid Marble revêt aussi une dimension poétique…
Je n’aime pas beaucoup la poésie. C’est un mot que je n’utilise jamais. Pour donner un exemple concret de ce qui m’intéresse, je pense à ce qui m’a été raconté après l’installation de la pièce au Victoria & Albert Museum, à Londres. Un couple d’Indiens assez âgés est entré dans la salle où l’on avait aménagé un petit banc. Ils y sont restés plus de trois heures sans bouger. Pour moi, la fonction de la pièce, c’est exactement cela. Je ne sais pas s’ils se parlaient ou non. Mais ce qui m’intéresse, c’est cette façon d’à la fois regarder et ne pas regarder un objet, la mer ou le ciel. Le geste devient le support d’un état méditatif. Et là, on n’admire ni l’objet ni le designer. L’objet va aller chercher des choses enfouies dans l’inconscient, dans le cerveau primitif ou reptilien. Ça, j’y crois absolument.
Quelle est donc votre mission actuellement chez Huawei, ce géant chinois de la téléphonie ?
Ma mission est globale. Huawei représente 180 000 personnes. C’est donc un mastodonte qui, à l’origine, ne vient pas du tout du monde du téléphone en tant qu’objet, mais plutôt des systèmes de télécommunications. Comme société, Huawei a longtemps travaillé en marque blanche pour de gros opérateurs ou pour d’autres marques. Comme elle détenait toute la connaissance et l’expertise possible, elle s’est lancée il y a maintenant six ans dans la conception de téléphones. Mais sans avoir connu auparavant, comme Apple, de croissance basée sur les objets. Chez Huawei, ces deux univers n’étaient pas reliés entre eux. L’expertise oui, ce qu’il en sort, non. Ses équipes m’ont donc demandé de les aider en tant que directeur artistique sur des approches très différentes, pour les nourrir en amont et donner mon avis en aval. Ce n’est pas un travail de design stricto sensu sur les objets. C’est une approche complexe, qui équivaudrait à se retrouver dans les airs dans un avion de chasse et de devoir soudainement définir le plan de vol. Se poser à terre cinq minutes pour réfléchir à la direction serait alors de la pure folie !
Où en est votre projet de Day Boat ?
Nous discutons activement avec des chantiers navals italiens pour le développer. C’est un bateau d’assez bonne taille, mais dont les skippers ne sont pas forcément expérimentés. J’ai volontairement conservé un élément semi-rigide avec des boudins extérieurs gonflables sur les côtés. Ils permettent le pare-battage : on n’a pas à se poser trop de questions pour accoster puisqu’on ne risque pas d’abîmer le bateau. Le Day Boat est aussi un lieu où bronzer, où s’asseoir dans l’espace du bain à remous central et où faire une sieste dans la cabine au toit escamotable. Avec les motorisations hybrides, en arrivant au port ou dans un espace protégé, on navigue au moteur électrique, en silence, mais avec néanmoins de la puissance.