Le galeriste Loïc Le Gaillard, de la Carpenters Workshop Gallery, nous expliquait récemment le besoin qu’il avait eu de créer son propre outil de travail. Cela vous évoque-t-il quelque chose ?
Oui et clairement : pour ne pas dépendre des autres. Ne pas faire certaines choses tout en en faisant d’autres est une assez bonne façon d’être dans la réalité. Cela afin de pouvoir flirter avec la marge si on en a l’envie, tout en ayant l’autonomie et la structure qui le permettent.
Quand on entend : « Lehanneur ne fait pas de meubles », qu’est-ce que cela vous inspire ?
« Il n’a pas encore fait beaucoup de meubles » serait plus juste et moins définitif. Je l’ai déjà dit : face à une feuille blanche, cette envie-là ne me vient pas. Le monde est déjà saturé d’objets. Et un septième continent constitué de déchets en plastique ne cesse de grandir. Pourquoi ferais-je une chaise de plus ? La meilleure raison serait sans doute qu’on me le demande. Mais sans client, c’est non ! Si, en revanche, les responsables d’une marque viennent demain m’expliquer : « Voilà où nous en sommes, voilà le virage que nous voulons prendre, voilà pourquoi vous nous intéressez… » alors, ce sera oui. Dès lors qu’il ne s’agit pas seulement de « pondre » un truc supplémentaire, cela m’intéresse.
Associé à l’agence LAN, vous avez été choisi pour réaliser le réaménagement du Grand Palais. Que voulez-vous y faire ?
Le projet originel du Grand Palais correspondait à une approche qui m’est chère. Il s’agissait de créer, sans hiérarchie, un lieu où le spectacle, la Nef, les arts, les galeries nationales, la science et le palais de la Découverte fonctionnaient réunis dans un seul bâtiment. Comme dans un hub de la civilisation où l’on vulgariserait la science en train de se faire. Parallèlement, l’art ancien ou celui du moment s’exposait. Et puis, l’histoire, la politique et l’administration étant ce qu’elles sont, tout s’est subdivisé. Le palais de la Découverte est devenu autonome, la Nef appartient à des maisons de mode plutôt qu’à Paris et les galeries nationales ne sont pas très lisibles. L’idée, c’est de relier tous ces champs.
L’aménagement du Café Mollien, dans l’aile Denon du Louvre, a-t-il représenté un carrousel de contraintes ?
Vous n’imaginez même pas ! Rien n’y est possible. Il ne faut pas toucher au sol ni aux murs. Il ne faut s’accrocher à rien. L’espace doit être libérable chaque soir lorsqu’il est privatisé. Seuls les luminaires peuvent rester en place. Il a fallu se battre un peu pour donner une identité visible au lieu avec le moins d’emprise possible. L’un des enjeux, pour moi, hors la demande du client, était de créer un signal, un appel avec pour perspective les salles de peinture. Et, à l’inverse, de rendre le lieu repérable depuis les Tuileries, à travers ses fenêtres. Plutôt que d’occuper le sol, j’ai donc préféré habiller d’autres éléments de l’espace.
Au restaurant Noglu (pour no gluten) à Paris, que dit votre architecture intérieure de nos intolérances alimentaires ?
Cela reste un restaurant avec des tables et des chaises. Néanmoins, ce qui m’intéressait dans ce projet-là, c’est qu’il ne s’agissait pas de n’importe quelle table. On va vous y servir des plats exempts d’allergènes, sans gluten ni œufs ni lactose ou absolument vegan. Il fallait trouver une identité à un tel lieu. Il me paraissait important de suggérer un côté un peu primitif, comme dans une grotte. Comme si cela nous ramenait à notre ancien état de chasseurs-cueilleurs, sans OGM autour, juste une massue en main, tandis que trois mammouths passent en même temps que l’on arrache une pomme de son arbre. Cette cuisine n’est pas une punition. Rien n’y est fait aux dépens des qualités gustatives des produits. Il fallait donc aussi, dans les détails, dans les matériaux, montrer qu’il y avait de la sophistication dans cette grotte.