Dans le nord de l’Italie, la province d’Émilie-Romagne se faufile le long de la plaine du Pô et du massif des Apennins en déroulant un beau chapelet de villes d’art, de culture et de gastronomie. Celles-ci ourlent avec élégance et régularité le tracé de la via Emilia, l’antique voie romaine reliant la mer Tyrrhénienne à l’Adriatique depuis Piacenza jusqu’à Rimini. Située à 70 kilomètres de Bologne et équidistante de Parme et de Modène, Reggio Emilia – environ 172000 habitants – est encore étonnamment méconnue.
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Reggio Emilia, l’art dans la vi(ll)e
Or, être préservée du tourisme de masse est assurément un luxe de nos jours. En premier lieu, Reggio est une pure carte postale italienne. Son centre historique est un concentré de beauté architecturale allant du roman au néoclassique en passant par le style Renaissance ou baroque. Bordées d’arcades ombragées, ses petites rues pavées et ses places sont d’irrésistibles invitations à prendre un caffè ou un aperitivo en terrasse et à (re)découvrir des typologies de commerces qui, partout ailleurs, semblent vouées à la disparition.

La droguerie Neviani, par exemple, est une véritable caverne d’Ali Baba où l’on peut dénicher d’anciens stocks de verres Venini et de céramiques Ginori 1735. La nouvelle galerie Capperidicasa a, elle, de quoi rendre fou tout expert de design avec son exceptionnelle sélection de meubles modernistes vintage, principalement italiens et danois.
Côté gastronomie, la région s’enorgueillit de quelques-unes des plus célèbres DOP (dénominations d’origine protégée) de la Péninsule, dont le jambon de Parme, le vinaigre balsamique de Modène et, bien entendu, le parmesan – Reggiano, comme il se doit. Loin de se limiter à cette authenticité conviviale et cultivée, Reggio Emilia est aussi une destination qui clignote en toute légitimité sur le radar des amateurs d’art contemporain.

Depuis une vingtaine d’années en effet, la fondation Palazzo Magnani (association à but non lucratif regroupant, depuis 2010, la province, la municipalité et quelques partenaires privés) soutient activement diverses initiatives artistiques, ambitieuses mais ouvertes à tous. La plus connue à l’international est sans aucun doute le festival Fotografia Europea, qui s’apprête à dérouler du 24 avril au 8 juin sa vingtième édition, articulée, justement, autour de la thématique « Avoir 20 ans ».
Entre fresques et photographies
Au début des années 2000, le projet « Invitation à… », conçu et proposé à la ville par l’artiste Claudio Parmiggiani (1943-), figure de l’Arte Povera, a permis l’installation dans l’espace public d’œuvres de Luciano Fabro (1936- 2007), d’Eliseo Mattiacci (1940-2019), de Robert Morris (1931-2018) et de Sol LeWitt (1928-2007). Ce dernier a réalisé Whirls and Twirls 1 – une itération de sa célèbre série « Wall Drawings » (1968-2007) – directement sur le plafond de la salle de lecture de la bibliothèque Panizzi, en collaboration avec neuf jeunes artistes locaux.

L’automne dernier, c’était au tour du Britannique David Tremlett de dévoiler The Organ Pipes, une fresque monumentale peinte sur les treize silos et la façade de l’ancienne usine Caffarri. Le lieu accueille désormais, entre autres, le siège de la fondation Reggio Children. Cette approche pédagogique ouverte et innovante de type Freinet, élaborée par Loris Malaguzzi (1920-1994), accompagne tous les enfants de Reggio jusqu’à leurs 6 ans et suscite un intérêt international grandissant.
Sous le commissariat de Marina Dacci, « Another Step », une rétrospective sensible du travail de David Tremlett, est présentée en parallèle jusqu’au 9 février aux Chiostri di San Pietro, des cloîtres bénédictins du XVIe siècle désacralisés, situés en plein centre-ville. À quelques rues de là, les Musei Civici installés dans un ancien couvent franciscain rassemblent un musée d’histoire naturelle, un musée d’archéologie ainsi que de nouvelles salles aménagées par Italo Rota (1953-2024).

L’architecte italien avait déjà cosigné avec Gae Aulenti (1927-2021) celles du musée d’Orsay, à Paris, ou du Museo del Novecento, à Milan. Leur agencement offre aux visiteurs une expérience de parcours immersif et multisensoriel dans lequel l’histoire rencontre, en toute fluidité, l’innovation. Jusqu’au 2 mars, on peut y découvrir « Luigi Ghirri: Zone di passaggio », une des expositions phares de Fotografia Europea 2024.
Où créativité et décentralisation s’unissent
En lisière de la ville, l’usine historique de la marque de mode Max Mara, construite en 1957 par les architectes rationalistes Antonio Pastorini et Eugenio Salvarani, abrite dorénavant la Collezione Maramotti. Les œuvres collectionnées par Achille Maramotti, fondateur du groupe Max Mara, attestent des divers mouvements artistiques de la seconde moitié du XXe siècle, depuis l’Arte Povera et la Transvanguardia jusqu’à la Nouvelle Géométrie et le néo-expressionnisme américain des années 1980.

Dans cette cité à taille humaine, où la culture est valorisée et la qualité de vie, préservée, deux créatifs reggiani pointus, Valerio et Sara Tamagnini, ont choisi de cofonder, en 2005, Studio Blanco. En 2021, ce dernier a reçu le titre de Meilleure agence créative par le magazine Monocle. Le duo vient d’ouvrir une mini-antenne à Milan, mais son vaste et très cool espace du centre historique, à deux pas des Chiostri di San Pietro, est le lieu où tout se passe.
Leur travail va de la création de sites Web (celui des Formafantasma, par exemple) au conseil stratégique en passant par l’événementiel pour Max Mara, Prada, Bitossi, Kerakoll (liste non exhaustive) et les livres ou vinyles autoédités. Sara et Valerio revendiquent d’ailleurs ouvertement le choix d’être « à la marge, tant géographiquement que mentalement ». À leurs yeux, même si la dimension stimulante des métropoles reste inégalée, vivre au quotidien à Reggio signifie perdre moins de temps dans le métro ou dans le tourbillon des vernissages, et donc pouvoir vraiment se concentrer qualitativement sur les projets.

D’autant plus que la gare Mediopadana AV (Alta Velocità, pour « grande vitesse »), qui se distingue avec sa silhouette de portails en acier façon vague conçue par l’architecte espagnol Santiago Calatrava, permet dorénavant de rallier Bologne en vingt-trois minutes, Milan en quarante, Florence en une heure. Reggio Emilia est la preuve vivante que création pointue peut parfaitement rimer avec décentralisation. Une raison de plus pour aller, au plus vite, découvrir la ville et s’en inspirer.
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