Quel phénomène ! L’« amphithéâtre » décrit par Stendhal dans ses Mémoires d’un touriste a si bien pris au sérieux son rôle de capitale européenne de la culture 2013 qu’il a changé de peau. Pas si évident au départ pour Marseille, composée d’un puzzle de 111 « villages » arc-boutés sur leurs particularismes. La gentrification désormais à l’œuvre attire jusqu’à 300 tournages et 5 millions de touristes par an. De nouveaux venus accourent, subjugués par un week-end sur le port chic des Goudes, attirés par une bouillabaisse dans la calanque de Callelongue, la promesse d’un apéro sur le Vieux-Port ou d’une réunion de travail sur la plage du Prophète.
Ces bonnes vibrations claquent dès la descente de la gare Marseille-Saint-Charles qui ouvre théâtralement sur « la Bonne Mère » et sur les toits en cascade avec la Méditerranée comme seule limite. Ce sentiment d’ébullition perdure dans la chaleur et les bouchons. Le centre est plein comme un œuf. Plein d’engins qui ne savent où se garer, de boutiques, de mâts dressés en bottes d’aiguilles dans le Vieux-Port cerné des arcades de Fernand Pouillon et de visiteurs agglutinés sur la Canebière pour un selfie.
Cet environnement sublimé aiguise visiblement les énergies. Alors que les Marseillais mettent les bouchées doubles côté business – de préférence en famille –, d’autres apportent des rêves dans leurs valises. Ainsi, lâchant Paris pour le sable des Catalans, la danseuse Bénédicte Morel inaugure, en octobre, un centre sportif innovant où fly yoga et art feront bon ménage : « Marseille offre un potentiel énorme. Avec Serge Alcala, qui m’accompagne dans ce projet, nous avons rencontré ici beaucoup de bienveillance pour faire éclore nos idées. » Tanguy Bacrot, 42 ans, expert financier et directeur associé d’IRM PBI, grand fêtard devant l’éternel, a senti venir les mutations il y a six ans. « On m’a pris pour un fou lorsque j’ai ouvert nos bureaux de conseil en patrimoine avenue de la République, mal famée à l’époque… et très tendance aujourd’hui ! » s’enthousiasme-t-il.
« Marseille a indéniablement bougé. Euroméditerranée a d’ailleurs démontré que les architectes peuvent apporter beaucoup », confirme Corinne Vezzoni dont l’agence loge dans la Cité radieuse de Le Corbusier. Cette lauréate, en 2015, du Prix de la femme architecte, initié par le ministère de la Culture, a notamment réalisé le Centre de conservation et de ressources (CCR) du Mucem, situé dans le quartier de la Belle de Mai, ou encore celui que l’on surnomme « le Pavillon jaune », à l’entrée du campus de la Timone. « Le seul frein à l’expansion maîtrisée de la ville ? Sa gouvernance », souligne-t-elle. « Nous sommes le territoire comptant le plus de sociétés innovantes. Or, malgré cette dynamique incroyable, nos élus les ignorent. » Une critique qui filtre chez les créateurs de start-up qui, plutôt que se heurter aux lenteurs administratives, s’entraident via un réseau réactif. Euroméditerranée, le gigantesque projet de rénovation urbaine réunissant aussi bien la municipalité, l’État, que l’Union européenne, et qui, depuis plus de vingt ans, redessine les 480 hectares du cœur de la ville, aura coûté, lors de son achèvement, prévu en 2030, la bagatelle de 7 milliards d’euros dont 5 milliards d’investissements privés.