Comme beaucoup de génies, Quasar Khanh a eu le tort d’avoir raison avant les autres… Ce Vietnamien né en 1934 débarque à Paris à l’adolescence et suit les cours de l’Ecole nationale supérieure des Ponts et Chaussée. Mais il abandonne bien vite les sciences de la construction pour se consacrer à la conception d’objets dans la mode, l’aéronautique, l’automobile… et le mobilier ! Dès le début des années 1960, il travaille la mousse recouverte de velours avant de dessiner la toute première ligne de mobilier gonflable en PVC. Assises, lampes et cloisons mobiles de cette collection baptisée « Aerospace » marquent l’imaginaire collectif.
Par la suite, Quasar Khanh lance la première voiture citadine compacte. Trop en avance sur son temps, l’ancêtre de la Smart n’est fabriquée qu’à six exemplaires… Au début des années 1970, le designer féru d’écologie élabore une collection de mobilier dont les lignes sont inspirées de l’univers végétal et notamment des feuilles de d’alocasia de son enfance au Vietnam et qu’il fait fabriquer en fonte d’aluminium recyclé. C’est cette gamme baptisée « Nervure » qu’ont décidé de faire revivre Othello Khanh, le fils du designer décédé en 2016 à Hanoï, et son épouse Michèle de Albert.
Comment se compose la collection « Nervure » ?
Nous éditons une quinzaine de pièces, avec différents chaises et fauteuils, des tabourets, un banc, des ottomans, des tables, une console, un stand pour seau à champagne, trois lampes et le fauteuil Ronda, une boule en aluminium qui est une prouesse technique car rien n’est soudé, tout est moulé au sable. Ces produits sont fabriqués au Vietnam avec des processus très artisanaux.
Dans quelle contexte ces pièces ont-elles été créées ?
Quasar Khanh a fabriqué lui-même les premiers prototypes en 1975-1976. Comme leur édition était compliquée, il les a gardés pour son utilisation personnelle dans sa maison de Garches (Hauts-de-Seine). En 1986, j’ai commencé à m’intéresser à ces pièces et à la façon dont on pourrait les produire. Ca a pris pas mal de temps pour trouver les ateliers car très peu travaillent encore avec la technique de moule au sable, à laquelle Quasar tenait. Il ne voulait pas de moules à injection car d’une part, ils coûtent très cher et, d’autre part, cela donne des pièce très industrielles, standardisées. Comme nous habitons le Vietnam, nous avons emporté les pièces avec nous et nous avons cherché… Le premier fondeur que nous avons trouvé était installé dans la quartier chinois de Saigon. Quand nous sommes arrivés, il y avait à l’entrée un énorme tas de pièces détachées d’anciens véhicules de l’armée américaine en aluminium (tanks, jeeps…). C’était leur réserve de matière première puisque ce métal peut être refondu à l’infini.
Au moment de la conception de cette collection, Quasar Khanh était connu pour son mobilier gonflable, futuriste. Comment en est-il venu à dessiner ces pièces très organiques ?
Quand il a dessiné son mobilier gonflable, ce qui l’intéressait, c’était la transparence. Il y a cette interview de lui à la RTBF où il explique que, dans un intérieur classique, on ne voit que les meubles et on en vient à oublier les gens qui y habitent. Lui préférait mettre l’humain en avant… Il a abandonné le PVC pour l’aluminium car il souhaitait des pièces pérennes et non plus jetables. En plus, ce matériau permet de fabriquer des pièces quasi inusables puisqu’il s’oxyde très peu, même en extérieur.
Quasar Khanh était donc aussi un précurseur de l’écologie…
Il était toujours en avance… Il a commencé à s’intéresser à l’écologie et au recyclage car c’était un humaniste qui voyait bien que le système allait dans le mur. L’aluminium lui donnait de la légèreté et la possibilité de fabriquer avec des matériaux de récupération.
D’autres rééditions sont-elles prévues ?
Pas dans les prochains mois, mais l’année prochaine. Nous allons ressortir des pièces en bambou avec des joints en métal que Quasar Khahn a dessiné dans les années 1990.
Le mobilier gonflable de Quasar Khanh sera-t-il lui aussi réédité ?
Non, il l’a longtemps été par Branex mais la société a été revendue et a cessé la production. Notre problème, c’est que ce marché est assez réduit et qu’il existe beaucoup de contrefaçons, notamment en Chine. Nous n’avons pas envie de nous remettre là-dedans. Ca a été une très jolie histoire, mais aujourd’hui, nous trouvons plus intéressant de travailler sur des pièces plus en phase avec l’époque, qui n’utilisent pas de plastique. Nous avons changé d’ère…
> La gamme est distribuée en exclusivité dans la boutique parisienne Sophie Séguéla Intérieurs en attendant la mise en place d’un site web où les pièces pourront être commandées.
> Livre Quasar Khahn, Designer visionnaire, préface de Philippe Starck, Albin Michel, 49 €.