Chaque année, les paris vont bon train. L’attribution du Pritzker Prize agite le milieu et déchaîne les passions. Après avoir couronné des « starchitectes » pendant fort longtemps, le jury a pris depuis quelques années des risques – mesurés – pour tenter de pallier le manque de diversité qui lui était régulièrement reproché.
Le Pritzker Prize, un concours ouvert sur le monde
Rappelons qu’il a fallu attendre 2004, soit vingt-cinq années après la création du prix par la Fondation Hyatt, pour voir la première femme lauréate en la personne de Zaha Hadid. Depuis, Wang Shu, en 2012, Alejandro Aravena, en 2016, ou encore Balkrishna Doshi, en 2018, ont créé la surprise, ouvrant la voie à une nouvelle manière de célébrer l’architecture. En 2021, nous nous étions réjouis du sacre français d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, qui affirmait haut et fort cette nouvelle dynastie, moins conventionnelle et bien plus enthousiasmante dans sa capacité à faire bouger les curseurs.
Pour son édition 2022, le jury du Pritzker Prize a continué sur cette lancée en distinguant Diébédo Francis Kéré. Premier Africain, premier Noir, il était temps. « C’est incroyable », a-t-il résumé avec l’humilité qu’on lui connaît. Était-il donc le seul à ne pas se douter qu’il figurait sur la liste des grands favoris ? Francis Kéré est né en 1965, au Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du monde, à Gando, petit village dépourvu d’école. « Tout le monde prenait soin de vous et le village entier était votre terrain de jeux », se souvient-il.
L’architecture comme vocation
Il quitte sa famille à l’âge de 7 ans pour entamer sa scolarité à une quinzaine de kilomètres, entre les quatre murs d’une construction médiocre et mal ventilée où l’enfant qu’il est étouffe de chaleur. Une expérience qui posera les jalons de sa vocation. Il se fait en effet la promesse d’améliorer, un jour, les conditions d’apprentissage des élèves africains. En 1985, à la faveur d’une bourse d’étude, il s’établit en Allemagne où il suit, dans un premier temps, une formation de charpentier. S’il devient officiellement architecte en 2004 après un diplôme obtenu à la Technische Universität Berlin, il construit son premier projet en 2001 alors qu’il est encore étudiant : une école à Gando, augmentée par la suite d’une extension, d’une nouvelle bibliothèque et de logements pour les enseignants.
Un projet fondateur qui augure la manière dont il envisage son métier d’architecte, notamment sa capacité à corriger les inégalités sociales. Car chez Kéré, l’architecture est tout sauf un acte isolé et déconnecté de la réalité. Elle se caractérise à l’inverse par une approche participative où le Germano-Burkinabé construit pour et avec les habitants. Le jury a ainsi résumé sa philosophie : « Francis Diébédo Kéré sait, au plus profond de lui-même, que l’architecture n’est pas affaire d’objet mais d’objectif, pas de produit mais de processus. Son œuvre tout entière exalte la puissance des matériaux ancrés localement. Ses bâtiments, faits pour et avec les communautés, appartiennent intégralement à ces communautés – leur fabrication, les matériaux employés, leurs programmes et leur caractère unique. »
Naturalisé allemand, il crée son agence à Berlin en 2005. Si l’essentiel de sa production se trouve en Afrique (Burkina Faso, Kenya, Mozambique, Ouganda), il construit également ailleurs. Pour autant, l’Afrique reste son port d’attache, son terrain d’engagement. Un pied sur chaque continent, Francis Kéré n’a jamais cherché à singer l’architecture occidentale. Les matériaux locaux et les mises en œuvre traditionnelles ont sa préférence. Du bon sens, rien que du bon sens. Un retour aux sources parfaitement dans l’air du temps (une architecture sobre et frugale) que le Pritzker Prize n’a pas manqué de mettre en lumière.
Si le storytelling est effectivement parfait, ce cru 2022 récompense avant tout un engagement de chaque instant. Ce qui ne manque pas de choquer l’intelligentsia un poil réactionnaire pour qui, sacrilège ! ce n’est plus l’architecture qu’on récompense. Peu importe, le monde d’avant est bel et bien mort et l’usage intensif du béton – n’en déplaise à ses fidèles aficionados – n’est tout simplement plus une option. Célébrer des démarches plutôt que de grands gestes, là aussi, il était temps.