Pretziada, le studio de design qui se nourrit de la Sardaigne

Le duo qui compose Pretziada a choisi de quitter la ville pour développer son activité créative multifacette au cœur de la Sardaigne. Au gré de rencontres avec des artisans, il livre de ce territoire une vision nouvelle.

Depuis Cagliari, la « capitale » de la Sardaigne, il faut compter une bonne heure de route pour rallier Santadi. Après avoir franchi le massif du Monte Arcosu, on découvre une bourgade aux habitudes très rurales en plein cœur du Sulcis, loin du tourisme clinquant de la Costa Smeralda. Le Sulcis est le territoire le plus méridional de l’île et a aussi longtemps été le plus pauvre. Il est à l’opposé – dans tous les sens du terme. Une localisation pas banale pour implanter un studio de design. C’est pourtant ici que Kyre Chenven et Ivano Atzori sont venus s’installer pour développer l’entité Pretziada. Elle, originaire de Californie, a exercé en agence en tant que directrice artistique et scénographe. Lui, né à Milan, est un créateur reconnu de la culture underground, passé par le graff ainsi que par l’aventure milanaise du concept-store King Kong.

La Californienne Kyre Chenven et le Milanais Ivano Atzori ont quitté la ville pour installer Pretziada, leur studio de design, en pleine Sardaigne rurale. La variété de leur production reflète la qualité des relations qu’ils ont nouées avec l’artisanat et d’autres designers locaux.
La Californienne Kyre Chenven et le Milanais Ivano Atzori ont quitté la ville pour installer Pretziada, leur studio de design, en pleine Sardaigne rurale. La variété de leur production reflète la qualité des relations qu’ils ont nouées avec l’artisanat et d’autres designers locaux. DR

Ce couple à la ville, et désormais dans les affaires, était du genre très urbain. Jusqu’à ce que… « Après avoir habité des métropoles comme New York et Milan, et surtout après avoir eu deux enfants, nous nous sommes posé la question d’un cadre de vie plus serein pour faire grandir notre famille. Ivano avait des origines à Santadi (petite commune du Sud-Sardaigne, NDLR) et, très vite, nous sommes tous tombés amoureux de cette terre », expliquent-ils simplement. Mais le besoin d’œuvrer, de créer, a tôt repris ses droits, d’autant que la migration ne devait nullement rimer avec retraite anticipée. Sur place, le couple constate rapidement qu’une culture artisanale, peu connue en dehors des contours de l’île, fourmille encore, mais qu’elle est peu mise en valeur. « Nous sommes donc partis à la rencontre de ces femmes et de ces hommes au savoir-faire hors pair, pour, dans un premier temps, documenter ce formidable vivier à travers des reportages que nous continuons de publier en ligne. Mais très vite, des idées de projets plus inclusifs sont apparues. »

Le couteau Pretziada est fabriqué par Sergio Frongia, un artisan de l’île.
Le couteau Pretziada est fabriqué par Sergio Frongia, un artisan de l’île. DR

L’un des premiers sera la réalisation d’une bottine d’après les modèles portés par les bergers de l’île. Une chaussure à la fois simple, solide, pratique et très juste du point de vue du design. Pretziada venait de naître. En langue sarde, le terme signifie « précieux », et son choix pour nommer l’entreprise colle parfaitement avec cette excellence créative en sommeil, qui ne demande qu’à être révélée. Suivront la confection d’un couteau de poche, indispensable pour arpenter la campagne, ainsi qu’une série de tapis arborant les motifs traditionnels locaux… Tandis qu’ils présentent ces pièces lors de manifestations, Kyre Chenven et Ivano Atzori font la rencontre de designers – Sam Baron, Valentina Cameranesi, Ambroise Maggiar, Chiara Andreatti… – qui, à leur tour, sont tentés par cette expérience d’interaction avec les acteurs du territoire : le céramiste Walter Usai, la manufacture de tapis Mariantonia Urru, le ferronnier Antonio Argiolas (Fratelli Argiolas)… « Les créateurs sont chaque fois venus passer plusieurs jours à Santadi. De leur ressenti et des rencontres sont nés des projets. »

« Abba Est Vira », une collection de vases réalisée en collaboration avec les céramistes sardes Walter et Elvio Usai.
« Abba Est Vira », une collection de vases réalisée en collaboration avec les céramistes sardes Walter et Elvio Usai. DR

Depuis l’été 2019, Pretziada occupe une ancienne quincaillerie dans le centre du bourg ; une belle occasion d’accroître sa mission de passeur. « L’endroit nous sert de bureau, de lieu de stockage et, bien évidemment, d’espace d’exposition ou d’échanges. Ce type de commerce est totalement inédit dans une localité comme Santadi. Du coup, il suscite avant tout des rencontres. » Le jour de l’entretien, un paysan s’arrête pour parler d’un lot de farine qu’il vient de moudre. Plus tard, un jeune couple de créatifs anglais fraîchement installé passe raconter l’avancée d’un projet de concert musical, mais diffusé par casque, qu’il imagine dans une pinède voisine. « Il est évident que les ventes, qui sont malgré tout notre raison d’être économique, ne vont pas se faire ici. Aussi, nous avons mis en place un site d’e-commerce et nous tissons des liens avec des points de vente physiques en phase avec notre démarche. » C’est le cas depuis peu avec Boon_Room, à Paris, qui présente de façon pérenne l’ensemble de la collection. Une manière de créer des ambassades pour un art de vivre en train de se réinventer.

> Pretziada chez Boon_Room. 9, rue de Lesdiguières, 75004 Paris.

Elements Coatrack, un valet dessiné par Valentina Cameranesi et réalisé par les Fratelli Argiolas.
Elements Coatrack, un valet dessiné par Valentina Cameranesi et réalisé par les Fratelli Argiolas. DR