Architecte et designer née à Ovedio, en Espagne, et formée dans le bain culturel de Milan, où elle est basée, Patricia Urquiola relève fréquemment le défi de l’expérimentation dans les deux disciplines. Quand elle utilise un matériau, elle l’associe souvent à des mélanges de couleurs parfois inédits. Mais c’est aussi sur la texture, le relief et les finitions qu’elle innove. Une fois le registre de formes revisité – non sans un certain goût pour les proportions qui se démarquent des typologies classiques –, ses « créations » en sont vraiment. Avec elle, un matériau comme la pierre, du marbre à l’onyx, devient le sésame ouvrant la porte à des combinaisons osées.
Ces mariages inattendus génèrent des objets qui apportent plus qu’un supplément d’âme à l’architecture intérieure. Quand Patricia Urquiola souligne que le poids et la densité du minéral ne s’opposent pas à la légèreté, visuelle du moins, cela va peut-être plus loin qu’une question de style. Pas de pesanteur, au point qu’elle se joue du minéral comme on utiliserait un tissu, laissant la pierre s’exprimer dans un langage différent.
Mutina, le minéral léger
Chez Mutina, le carrelage est tombé dans le chaudron du design en 2005, quand Massimo Orsini, son président, a définitivement réorienté l’esprit de la maison, productrice de revêtements de céramique depuis trente ans. Les collaborations audacieuses avec des designers comme Patricia Urquiola ont alors débuté. Après le succès d’« Azulej », une vaste palette de carreaux de céramique permettant à l’usager de réaliser ses propres compositions, la créatrice s’est confrontée aux plus grands formats. Telle la collection « Cover », faite d’un grès cérame contenant des micrograins, sur lequel sont appliqués des motifs plus ou moins réguliers en utilisant la technique de la sérigraphie.
Chacune des trois variantes de textures de base – Grid, Nube et Base – peut être ornée de huit trames différentes au choix. Grâce à la technologie Continua Plus, le fond et le motif retenus (les combinaisons possibles sont multiples) se superposent pour un résultat faisant la part belle à l’irrégularité, aux effets chaleureux. Avec la ligne « Celosia », Patricia Urquiola donne un tour nouveau à la terre cuite, sans la détacher de son univers de tuiles et de briques. Les murs ajourés et graphiques sont des cloisons délimitant l’espace, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ces séparations filtrent la vue, à la façon d’un moucharabieh. Chacun à leur manière, les deux produits « Cover » et « Celosia » parviennent en fin de compte à conférer de la légèreté au matériau minéral qui les constitue.
Agape, le minéral tissu
Le Salon du meuble de Milan de 2019 a été l’occasion pour Patricia Urquiola de démontrer que la matière minérale pouvait aussi être envisagée comme un tissu, donnant lieu, là encore, à une quasi-infinité de compositions possibles. L’année précédente, pour le fabricant de salle de bains Agape, la designer avait d’abord conçu « Rigo », un système de poutres à fixer aux murs et sur lesquelles viennent se poser ou s’accrocher les différents éléments de mobilier et les accessoires. Quelques mois plus tard, voici la version « Rigo Marble », habillée d’un marbre blanc veiné de noir soigneusement choisi et travaillé. Car, si le marbre de Carrare est célèbre depuis si longtemps, ce n’est pas pour rien.
Qu’il soit mis en forme à la main selon des techniques anciennes ou avec le concours de machines, tout est fait de la part des artisans pour que la pierre exhale, dès la découpe, cette apparence évoquant des volutes d’encre de Chine se déployant dans l’eau. Il faut imaginer une salle de bains opposant les contrastes de couleurs entre des panneaux de bois veiné remontant jusqu’à la mi-hauteur des murs, du parquet à chevrons et des portes d’éléments bas eux aussi en marbre à volutes. Voilà le genre d’ambiance que Patricia Urquiola propose, en rupture avec le goût traditionnel, pour des décors uniques.
Budri, le minéral liquide
Avec son large catalogue allant des revêtements aux accessoires, en passant par le mobilier, le marbrier Budri démontre que la matière façonne des effets visuels inattendus, notamment l’impression d’une fluidité extrême. Avec ses veines de couleur visibles en surface, le marbre exhale une sorte de fraîcheur. La matière minérale peut perdre son aspect froid et dur pour devenir un élément beaucoup plus malléable et, davantage encore, pictural. Elle n’était déjà pas du genre à hésiter, dans un projet d’architecture intérieure pour un client privé, à dresser une cloison révélant la transparence particulière et très lumineuse propre à l’onyx ou à l’albâtre.
Mais, avec sa collection « Agua » pour Budri, elle pousse encore plus loin le jeu des effets de matière. Concrètement, cela donne une table, une console et une table basse baptisées Marea, colorées à la manière d’un pull Missoni graphique. La créativité de l’architecte et designer s’illustre jusque dans ses vases Orilla, mêlant onyx iranien blanc, marbre et résine vert émeraude. Quant au vase et au panneau décoratif Algas, leurs motifs graphiques et colorés s’inspirent de la forme et du mouvement d’algues ondoyantes. « Avec Budri, nous avons mené une expérimentation très stimulante, parce que nous avons réussi à développer des produits qui, a priori, me semblaient impossibles à réaliser », avoue tout de même la principale intéressée.
Editions Milano, le minéral décalé
En général, la typologie traditionnelle d’une carafe reprend plus ou moins les rondeurs des amphores, souvent considérées comme féminines. Mais pas avec Patricia Urquiola. Quand, pour Editions Milano et sa collection « Versi », elle cherche un registre nouveau, elle pousse au maximum le potentiel décoratif de l’ustensile et utilise la matière minérale là où on ne l’attend pas. Ainsi, sa carafe n’a pas de formes rondes mais plutôt des volumes tout en angles, et les deux sortes de marbre qui la composent en dissimulent le contenu.
Nous sommes là en présence d’un objet architecturé. Mais, si cette carafe n’en devient pas pour autant un objet manifeste, c’est peut-être grâce à la qualité de la pierre choisie. A travers un produit usuel, la créatrice parvient à mettre en valeur le potentiel aussi bien chromatique que graphique du matériau dans lequel il est fabriqué. Même ses plateaux sont pourvus de détails de finition qui les rendent uniques, tant du point de vue des associations de couleurs que de celui des contrastes, entre le lisse chatoyant et le plissé.
Ces objets du quotidien, à l’écart du registre habituel des créations en marbre, relèvent des arts appliqués. C’est peut-être justement l’œil global de l’architecte, attaché au souci de la juste proportion, qui est l’un des meilleurs atouts de Patricia Urquiola pour faire chanter cette matière minérale, aussi bien sur un chantier que pour une belle ménagerie d’objets.