Portrait : Marc Held, l’infatigable architecte de campagne 

Véritables icônes du mobilier hexagonal des sixties, le célébrissime “Culbuto” de Knoll et les lits de Prisunic ne sont qu’une partie de la carrière de Marc Held. À l’occasion de la sortie de son ouvrage “Samba Dia, l’école du centre de la terre” aux éditions Norma, IDEAT a rencontré ce grand nom de l'architecture et du design français.

Après avoir embrassé la fibre de verre et toutes les matières qui ont dessiné les années soixante, Marc Held s’est converti en apôtre des biomatériaux et de l’architecture vernaculaire. Rencontre.


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L’influence du monde paysan et du design scandinave

De retour du Sénégal, le (toujours) très occupé Marc Held – il vient tout de même de fêter ses 92 ans ! – nous raconte avec entrain son projet d’école maternelle à Samba Dia, dans le pays ouest-africain. Le lendemain, il sautait dans un train direction la Corrèze, une région à laquelle il est fortement attaché.

Marc Held à l’intérieur de la maquette de la VBGH3 de Renault dans l’atelier de la rue Oberkampf, 1978.
Marc Held à l’intérieur de la maquette de la VBGH3 de Renault dans l’atelier de la rue Oberkampf, 1978.

Né à Paris en 1932 de parents juifs, Marc Held s’y est réfugié pendant l’Occupation. “Nous avons été pourchassés et j’ai eu la chance d’être accueilli dans une famille de paysans.” Une époque qui “influence profondément sa création, notamment des pièces en bois, qui peuvent avoir des colorations rustiques”, souligne Juliette Pollet, conservatrice au MAD Paris.

Autre inspiration, sa première vie de prof de gym. Celle-ci l’amène à créer une paire de tendeurs pour l’exercice, qui influence aussi Étagères à 4 ancrages sur câbles tendus avec poulies (1961). Un objet qui rejoint d’autres pièces, dans sa boutique, L’Échoppe, ouverte en 1965 au 51, rue de Seine à Paris.

Lancement à L’Échoppe du siège pivotant et basculant à l’occasion du Festival Saint-Germain des arts, juin 1967. Ci-dessus, affiche de l’exposition.
Lancement à L’Échoppe du siège pivotant et basculant à l’occasion du Festival Saint-Germain des arts, juin 1967. Ci-dessus, affiche de l’exposition.

Il y expose aussi bien la porcelaine royale de Copenhague et des couverts de de Carl Hugo Pott que son propre Culbuto, ce fauteuil culte né après un voyage en Scandinavie. Inspiré par le Egg d’Arne Jacobsen, il rentre à Paris et sculpte une forme dans un bloc de balsa. “Un jour j’ai eu le président de Knoll France au téléphone. Ils souhaitaient m’éditer. Ils m’ont donné des moyens et à l’issue de trois ans de travail, en 1969, nous avons sorti le Culbuto.”

De Séguéla à Renault

Gagnant alors en réputation, Jacques Séguéla,  publicitaire et cofondateur de l’agence de communication RSCG  – absorbée par le groupe Havas en 1996 – le contacte pour créer les meubles d’une opération immobilière. L’une des pièces fortes est un lit fait de deux coques en fibre de verre moulée.

Couverture et quatrième de couverture du catalogue Prisunic/4, printemps-été 1968.
Couverture et quatrième de couverture du catalogue Prisunic/4, printemps-été 1968.

Il séduit Prisunic, qui l’intègre à son catalogue en 1966. Les commandes affluent, mais le fabricant ne suit pas. Puis le choc pétrolier donne son coup de grâce. “D’objet bon marché, il est devenu objet de luxe” se souvient Marc Held. Un comble pour une enseigne prônant le « beau au prix du laid » et le design pour tout.

Autre collaboration notable, celle avec Renault (1974-1978). “Nous faisions de la recherche prospective, sur les voitures du futur. C’était intéressant, excitant, sauf que rien ne sortait réellement de tout cela. Ça m’a un peu découragé.” Petite satisfaction malgré tout, celle d’avoir tracé la route de l’Espace.

« La Méridienne ». Voiture familiale, carrosserie adaptée sur un châssis de Renault Trafic 1 000 exemplaires Fabricant : établissements Chausson (filiale de Renault et Peugeot) Distributeur : Régie Renault
« La Méridienne ». Voiture familiale, carrosserie adaptée sur un châssis de Renault Trafic 1 000 exemplaires Fabricant : établissements Chausson (filiale de Renault et Peugeot) Distributeur : Régie Renault

Nous avons travaillé sur un concept inspiré du van américain, baptisé la Méridienne. Elle a servi de prototype à la conception du célèbre monospace. Ensuite ils ont voulu me confier un grand atelier, un contrat bien payé avec budget illimité. Si j’acceptais, je devenais le patron d’une boîte de style et abandonnais l’architecture. J’ai alors décliné.

D’IBM à Skópelos

L’architecture est en effet l’autre grande aventure du designer. Il fonde en 1960 l’agence Archiform, qui rejoint en 1965 son showroom rue de Seine, à 3 numéros à peine. Parmi ses projets les plus mémorables, on note la Maison en acier Corten, sortie de terre en 1978. Cette bâtisse située à Gif-sur-Yvette est à bâtir “sur un terrain inondé chaque année. Je n’allais pas lutter contre la nature. J’ai donc construit une maison sur pilotis.” Entourée de verdure et surmontant une pièce d’eau, la bâtisse évoque un vaisseau.

Maison en acier Corten, Gif-sur-Yvette, Essonne, 1973-1977. Vue extérieure côté chambre avec, à l’arrière-plan, la tour centrale.
Maison en acier Corten, Gif-sur-Yvette, Essonne, 1973-1977. Vue extérieure côté chambre avec, à l’arrière-plan, la tour centrale.

Vient ensuite le chapitre IBM dans les années 1980.L’entreprise m’a embauché pour prendre la place de Marcel Breuer [décédé en 1981, l’ancien professeur du Bauhaus a dessiné quantité de bâtiments pour le spécialiste en informatique, Ndlr] et m’a confié la construction du centre social de la compagnie à Montpellier. J’avais présenté deux projets. Un premier très high tech et un second en pierre, inspiré par mes promenades dans la région, où je m’imprègne de l’architecture vernaculaire. Curieusement, c’est celui-ci qu’ils ont accepté. J’ai enchainé sur leur centre de test des grands ordinateurs, beaucoup plus technique. Enfin ils ont construit leur tour à la Défense.”

Un projet qui dure trois ans et dont Marc Held garde un souvenir amer. “Puis on me conseille de rentrer dans la cour des grands, parce que je ne faisais pas le poids face aux pontes et leur plateaux 80 dessinateurs. Mais j’en avais marre de la profession et mon épouse ne rêvait que de campagne et de potager. J’allais me perdre. Du jour au lendemain je lui ai dit :“On arrête tout et on se tire!

Article de Norma Skurka publié dans « The New York Times Magazine », 17 septembre 1972. Marc Held photographié devant L’Échoppe ; salon de son appartement de la rue de Seine et sièges Culbuto édités par Knoll.
Article de Norma Skurka publié dans « The New York Times Magazine », 17 septembre 1972. Marc Held photographié devant L’Échoppe ; salon de son appartement de la rue de Seine et sièges Culbuto édités par Knoll.

Marc Held, « l’architecte de campagne »

En 1989, Marc Held s’installesur l’île de Skópelos en Grèce, où une nouvelle vie commence.” Il y écrit un livre sur l’architecture locale et y construit… 16 maisons, pour lui-même et des particuliers. Celles-ci font l’objet d’un autre ouvrage publié aux éditions Norma.

Je travaille avec des artisans qui ont le temps et je me concentre sur les détails sur lesquels les architectes actuels n’ont pas le temps de s’attarder. Ces constructions sont aussi déterminées par leur situation géographique, leur environnement naturel ou les intempéries. Et cela demande du temps – il faut séjourner sur place.

Maison Bocognano, Zilia, Haute-Corse, 1974-1975.
Maison Bocognano, Zilia, Haute-Corse, 1974-1975.

En cela, Marc Held se considère comme un “architecte de campagne” qui, comme un médecin de campagne, se consacre à un territoire et en connaît tous les aspects. “J’utilise les ressources locales et intègre le bâti dans le paysage, comme une plante qui a poussé dans un bon terreau.” Les années plastique semblent bien lointaines.

Une démarche que l’on retrouve dans son projet de Samba Dia, cette école qui a ouvert ses portes au Sénégal à la rentrée d’octobre 2024. Racontée dans un ouvrage publié aux éditions Norma, elle est construite à partir de matériaux bio-sourcés, ventilée naturellement et réalisée grâce aux ressources locales. Un clin d’œil à sa première vie d’enseignant, avant celle d’architecte de campagne.

> Pour en savoir plus : Samba Dia, l’école du centre de la terre ; Marc Held. Skópelos, et “Marc Held, 50 ans de design” aux éditions Norma / Rêvons d’une autre ville!, aux éditions Parenthèses


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