Flamboyantes, chamarrées, un rien hippie, les collections mode et lifestyle de la maison milanaise Lisa Corti attirent tous les regards. Une renaissance pour cette marque bohème fameuse depuis que ses textiles ont tapissé les murs de la résidence du cinéaste Franco Zeffirelli, tandis que la famille Agnelli en raffolait.
Une histoire de transmission
Née à Keren, en Érythrée, celle qui a donné son nom à la griffe a conservé de son enfance enchantée le goût des dessins solaires, qu’elle cultivera par de nombreux voyages dans des contrées exotiques. Cet esprit imprègne entièrement ses lignes et n’a jamais fluctué d’un iota. La fraîcheur des teintes, la variété, la poésie des motifs au graphisme inspiré et une qualité indéfectible font la force de ce petit label dont on redécouvre avec plaisir le caractère bien trempé et l’histoire.
En 1963, Lisa Corti fait décoller sa compagnie après avoir remarqué à Milan des cotonnades et autres indiennes influencées par des palampores (des étoffes de grande taille) d’Inde – aussi appelées mezzari en Italie. Sur la table de son salon, aidée d’une couturière, elle façonne alors des vêtements pour ses copines et y appose déjà une étiquette avec son prénom. Fiorucci, marque de mode en vue dès la fin des sixties, la repère et propose une dizaine de ses modèles en boutique. Ils cartonnent au diapason de la contre-culture, entre psychédélisme, ballades folks de Joan Baez et Beatlemania. Durant cette période, Lisa est aussi top model et marquise… ayant épousé l’aristocrate italien Neno Corti Di Santo Stefano Belbo.
Désormais octogénaire, elle imagine encore à l’occasion des dessins que sa fille Ida, née en 1962, fait imprimer en même temps que ses propres croquis. Cette dernière a rejoint l’aventure en 2007 et règne aujourd’hui sur l’entreprise avec la double casquette de CEO et de directrice artistique. En Italie, les maisons sont souvent patrimoniales et celle-ci n’échappe pas à la règle. La transmission passe ici de la mère à la fille avant, peut-être demain, la petite-fille puisque la jeune Nina a rallié la compagnie durant un stage. « J’ai d’abord travaillé pour l’industrie du cinéma, notamment à Cinecittà, après des études à New York, se souvient Ida Corti, ce qui m’a permis de m’intéresser aux recherches graphiques et à la créativité de ma mère. Je l’accompagnais parfois en Inde lors de ses voyages professionnels. Lisa a su mixer plusieurs cultures et a inventé un style original, spécifique et reconnaissable. »
Ida s’est impliquée totalement dans l’entreprise maternelle et y a apporté sa propre touche, installant par exemple le showroom dans un ancien et vaste atelier milanais, Via Lecco. « J’ai aussi beaucoup travaillé sur l’ADN de notre marque, sur la création, en partant des nombreuses archives de ma mère, ajoutant de nouveaux motifs, guidée au départ par elle. Aujourd’hui, je poursuis notre histoire avec l’aide de deux femmes de 38 ans qui sont devenues nos associées : Elena Accornero aux finances et Lisa Guittard au marketing et à la communication. Elles me sont précieuses, car j’ai besoin de me confronter à d’autres idées que les miennes, à une vision plus jeune et à leur énergie. »
Joyeux Holi à l’italienne
Si la griffe est célèbre pour ses textiles, se sont ajoutés au catalogue des produits finis tels que nappes, rideaux, boutis, du prêt-à-porter et même, depuis un an, un vestiaire masculin ! L’amour des voyages de sa fondatrice entre Afrique, Inde et Italie se retrouve saison après saison dans un joyeux Holi, cette fête hindoue des couleurs traduite par la marque en une explosion de coloris vifs qui font sa réputation ainsi que par des brassées d’exotiques pavots, dahlias et pivoines, imprimés un à un selon la technique ancienne du block print (au bloc de bois).
Des impressions exécutées depuis les débuts de la marque dans des ateliers de Jaipur, en Inde, avec des petits tampons en palissandre sculptés en relief, imprégnés de teinture végétale et appliqués à la main sur le coton. Un art minutieux dont les légères irrégularités font tout le charme. « Le climat sec et la présence de l’eau dans la région ont permis le développement de cet artisanat ancestral typique devenu rare. On peut d’ailleurs adapter les motifs sur mesure ou même faire réaliser des dessins exclusifs pour nos clients », précise Ida, qui se rend sur place deux fois par an durant six semaines pour suivre la production.
Mariage des cultures
Ces impressions ornent nappes, boutis réversibles ou caftans (une tunique longue) – produit phare parmi les best-sellers de Lisa Corti depuis plus de quarante ans –, qui mélangent hardiment des motifs géométriques tels que les rayures, vert Véronèse et rose acide, avec des aplats moutarde sur fond de décors floraux parfaitement placés. Libre à l’utilisatrice de transformer ensuite une nappe en paréo – Lisa Corti invite à l’oser –, comme si elle sautait directement du golfe du Bengale à la côte amalfitaine pour sa dolce vita. Côté mode, ce sont des flopées de kurtas (chemises) légères, en version courte ou longue, turquoise ou géranium, que porte d’ailleurs volontiers comme vêtement d’intérieur la tribu milanaise des femmes de la marque avec l’aisance princière de maharanis.
« Nous avons aussi décidé de rajouter du lin à nos collections. Toutefois, je le fais imprimer près de Côme, en Italie, toujours selon la méthode du block print, mais en version numérique. Le dessin est conçu à Milan et le prototype réalisé en Inde. Nos productions indiennes sont longues et j’avais besoin de mieux contrôler cette nouvelle gamme », explique Ida Corti, qui ne cesse d’enrichir la griffe en multipliant également les collaborations. La liste est plutôt garnie puisqu’on y trouve le chausseur Superga avec trois motifs Lisa Corti différents créés pour des sneakers d’été, sans compter un partenariat avec la boutique anglaise Cutter Brooks, qui diffuse déjà quelques modèles pour la maison et proposera une ligne exclusive en février prochain, baptisée « Indonesian ».
Enfin, Lisa Corti fournit également en textiles un ravissant hôtel de luxe, La Minervetta, à Sorrente. Avec un site de vente en ligne, quatre boutiques en Italie et soixante points de vente dans le monde – dont Le Bon Marché –, cette marque de 70 ans conserve sa belle âme et sa jeunesse sans se galvauder.