Portrait : Kenzo Tange, le père de l’architecture japonaise contemporaine

A l'approche des J.O. de Tokyo, IDEAT dresse le portrait de Kenzō Tange (1913-2005), l'homme qui a permis à l'architecture nippone contemporaine d'émerger.

Kenzō Tange est l’instigateur de la renaissance de Tokyo et l’une des figures de proue de l’architecture internationale d’après-guerre. Cet architecte et urbaniste, symbole du mouvement moderne au Japon, commença sa carrière en travaillant pour Kunio Maekawa, lui-même disciple de Le Corbusier auquel il emprunta d’ailleurs l’utilisation du béton. Le Parc de la Paix et le Musée de la bombe atomique à Hiroshima en 1949 le propulsent sur la scène internationale. Il fonde alors le Studio Kenzō Tange qui deviendra en 1981 Kenzō Tange Associates.

L’architecte japonais Kenzo Tange.
L’architecte japonais Kenzo Tange. Youtube

Avec ses bâtiments épurés en béton brut, parfois recouverts d’éléments en pierre ou en verre, son style est qualifié de « brutalisme lyrique ». Acclamés aux quatre coins du monde, les travaux des Kenzō Tange lui vaudront en 1987 le prestigieux Pritzker Prize. C’est cependant le Japon, et tout particulièrement Tokyo, qui restera le laboratoire de prédilection de ses théories architecturales. On lui doit plusieurs lieux emblématiques de la ville comme la cathédrale Sainte-Marie, chef-d’œuvre brutaliste, les tours jumelles de la mairie de Shinjuku et leur point de vue imprenable, le siège de la Télévision Fuji aux allures martiennes ou encore la futuriste Mode Gakuen Cocoon Tower.

Le siège de la chaine de télévision Fuji TV à Tokyo.
Le siège de la chaine de télévision Fuji TV à Tokyo. tupungato-shutterstock-com

A la fin des années 50, Kenzō Tange invente une forme de « tradition moderne » qui s’inspire de l’habitat rural de l’ère Jōmon, période où les chasseurs-cueilleurs commencent à pratiquer la poterie. Tange pense à partir de là des bâtiments en béton brut se déroulant sur une structure porteuse. Cette période de remise en question amène ensuite l’architecte à interroger les processus d’évolution de la ville contemporaine. Le plan d’urbanisme de Hiroshima est pour lui l’occasion de présenter une nouvelle lecture de l’histoire architecturale nippone, mais il compte désormais appliquer ses théories à la ville en pleine expansion qu’est Tokyo…

Mairie de Shinjuku, à Tokyo.
Mairie de Shinjuku, à Tokyo. pio3-shutterstock-com

En 1960, Kenzō Tange publie le texte Un plan pour Tokyo 1960. Proposition pour une réorganisation structurelle, projet inspiré des travaux de l’ingénieur Arturo Soria y Mata et de la Ville Radieuse de Le Corbusier. Cette nouvelle approche de la plasticité du tissu urbain contemporain propose, à la place du noyau central, un développement longitudinal sur un axe directeur traversant la baie de Tokyo. Le but est de construire une forme d’urbanisme souple qui prend en compte les différents flux de la ville. « Tokyo n’est pas seulement un agrégat de personnes et de fonctions, elle est aussi une organisation ouverte, à l’intérieur de laquelle les fonctions communiquent entre elles pour créer la fonction globale, plaide-t-il alors. Ce qui confère à cette organisation sa vie organique, c’est le flux des 10 millions d’habitants. » Ce refus de la hiérarchie centripète au profit d’un civic axis en constante évolution reflète les positions du groupe Métabolisme, créé par Tange la même année et qui réunit plusieurs architectes japonais autour d’une ville nouvelle, pensée selon le modèle biologique de la mutation.

Le centre sportif de Yoyogi.
Le centre sportif de Yoyogi. sira-anamwong-shutterstock-com

Les concepts prônés par Tange sont synthétisés dans un de ses bâtiments les plus célèbres : le Yoyogi National Gymnasium et ses deux stades couverts. Pays hôte des premiers Jeux Olympiques d’Asie en 1964, le Japon souhaite affirmer sa puissance économique et son savoir-faire technique. Le gouvernement commande un site à la fois fonctionnel et visuellement puissant. Kenzō Tange répond à ce double impératif en créant deux bâtiments en forme de coquille. Le Grand Gymnase abrite la piscine olympique et la patinoire, alors que le Petit Gymnase reçoit le terrain de basket-ball et les infrastructures de la boxe et des autres sports de lutte.

L’intérieur du Grand Gymnase de Yoyogi.
L’intérieur du Grand Gymnase de Yoyogi. osamu-murai

Combinaison d’acier, de verre et de béton brut, les deux édifices sont à la fois imposants et élégants, traduisant les principes d’ampleur et d’harmonie propres à l’architecture de Kenzō Tange. Le Grand Gymnase est composé de deux arcs en décalé ouvrant sur les entrées du bâtiment. L’élément caractéristique de ce dernier est un toit suspendu, soutenu par deux piliers en béton armé et un système de câbles d’acier permettant à sa courbure de se prolonger jusqu’au sol. L’ensemble évoque à la fois une pagode, un coquillage et un vaisseau spatial. Le Petit Gymnase quant à lui est conçu comme une spirale articulée autour d’un pilier central évoquant là encore la structure en colimaçon d’une coquille. La forme des deux bâtiments du Tokyo National Gymnasium est inspirée de motifs héraldiques de l’ancien Japon, toujours dans l’idée d’une « tradition nouvelle ». Plus qu’un travail de commande, ce site est un véritable manifeste…

Vue aérienne du complexe de Yoyogi.
Vue aérienne du complexe de Yoyogi. osamu-murai

Les bâtiments de Kenzō Tange sont de parfaits exemples du principe de rupture dans la continuité. A la fois traditionnelle et avant-gardiste, son œuvre exprime la philosophie de l’architecte pour qui « la synthèse dialectique entre tradition et anti-tradition représente la structure idéale de la vraie création ». Une approche très japonaise, tout en équilibre et en harmonie, une transition entre les siècles pour un héritage vivant qui a su suivre l’évolution de la ville de Tokyo. A deux ans des Jeux Olympiques, alors que le Yoyogi National Gymnasium s’apprête à abriter les épreuves de handball, le souffle de Kenzō Tange est plus présent que jamais. « La construction est l’espoir de l’homme du XXe siècle, mais elle engage aussi sa responsabilité envers l’homme du XXIe siècle », avait-il coutume de déclarer. Pari réussi.

Le bassin olympique de Yoyogi.
Le bassin olympique de Yoyogi. osamu-murai