Portrait : Gino Sarfatti, artisan de la lumière

En novembre dernier, les amateurs de design découvraient avec enthousiasme la lampe Model 600 de Flos, revisitée par la maison de mode italienne Bottega Veneta. Une bonne excuse pour se pencher sur la trajectoire du créateur de ce luminaire, Gino Sarfatti (1912-1984).

Alors qu’il est représentant pour une fabrique de verre vénitien à Milan, Gino Sarfatti, ingénieur aéronaval contrarié, donne naissance à sa toute première lampe, à l’aide d’un vase et d’une pièce récupérée sur une cafetière. Le début d’une carrière prometteuse dans le domaine du luminaire.


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Gino Sarfatti, d’ingénieur à designer novateur

Le jeune Gino Sarfatti pensait faire carrière dans l’univers de l’aéronaval. Né à Venise en 1912, l’étudiant en ingénierie à l’Université de Gênes doit pourtant abandonner ses études en 1935. “Sa famille, qui était plutôt argentée, a alors un revers de fortune, il doit quitter la ville et devient alors représentant pour une fabrique de verre vénitien à Milan”, raconte Laurence Bartoletti, chargée d’études documentaires pour les collections XXe et XXIe siècle du MAD.

Lampe Model 600 de Gino Sarfatti revisitée par Bottega Veneta © Flos
Lampe Model 600 de Gino Sarfatti revisitée par Bottega Veneta © Flos

Cette expérience le met au cœur d’une entreprise, au cœur de la distribution.” Il y découvre le domaine de la lumière, grâce à un projet pour lequel il transforme un vase et une pièce récupérée sur une cafetière en luminaire. Ainsi, toujours en 1939, il fonde Arteluce, « l’une des fabriques les plus intéressantes d’Italie », affirme Laurence Bartoletti.

Et pour cause, le designer est en quête de nouveautés, notamment en ce qui concerne les matériaux privilégiés. Il utilise ainsi le “perspex, une forme de plastique, bien avant que des marques comme Kartell ne s’en emparent, par exemple sur la lampe Jojo”, une suspension faite de sphères colorées qui date de 1953. “Il est aussi un précurseur dans l’utilisation de certaines technologies, dont l’halogène qu’il intègre à la sphère domestique.” Une typologie d’ampoule que l’on retrouve sur le modèle 607 (1971).

Sculpturale et minimalisme

Parmi ses obsessions, il y a celle d’éclairer avec le minimum, c’est pourquoi il cherche à rendre ses lampes les plus minces possible. Leurs structures donnent une sensation de légèreté, de souplesse, elles sont très graciles, et même éteintes, restent très belles”, souligne la chargée d’études documentaires pour les collections XXe et XXIe siècle du MAD.

Le modèle 2097 de Gino Sarfatti est une réinterprétation  du lustre vénitien. © Flos / Adrianna Glaviano
Le modèle 2097 de Gino Sarfatti est une réinterprétation  du lustre vénitien. © Flos / Adrianna Glaviano

Co-fondateur de la galerie Kreo et grand collectionneur de Gino Sarfatti, Didier Krzentowski fait un parallèle entre le travail de l’Italien et l’art minimal. “Il dessine la silhouette de sa lampe en fonction de la source lumineuse, ou de l’ampoule. Sa démarche est donc très minimaliste, bien avant le travail de Dan Flavin avec ses néons.” Le galeriste ajoute que son objectif était “d’éclairer au mieux”, tout en convoquant, malgré lui, un vocabulaire esthétique d’ingénieur.

Ainsi sur la lampe à poser 536 (1966), il utilise un tuyau flexible. Pour le modèle 2097 (1958), il réinterprète le lustre vénitien avec un tube central en acier d’où sortent des tiges en laiton sur lesquelles reposent des ampoules dont il ne souhaite pas cacher les fils d’alimentation. “Il pense comme un industriel, il est en permanence dans la recherche de nouveaux modèles. Son objectif n’était pas du tout décoratif. Ses lampes le sont devenues par la suite, mais par hasard.”

D’ailleurs, Sarfatti ne se considérait pas du coup comme un designer. En vue de l’exposition “Lumières : Je pense à vous” qui s’est tenue en 1985 au Centre Pompidou, il déclarait :“Designer ? Mais je n’ai jamais permis qu’on m’appelle designer. Je suis un artisan, absolument.

Du Teatro Regio aux rives du lac de Côme

Sarfatti ne se contente pas d’éditer ses propres créations via Arteluce, mais aussi celles de Franco Albini, Gianfranco Frattini ou encore Massimo Vignelli. De plus, l’entreprise de l’autodidacte va éclairer “des bureaux, des hôtels, des transatlantiques italiens, des bateaux de croisière très luxueux”, rapporte Laurence Bartoletti.

Portrait de Gino Sarfatti.
Portrait de Gino Sarfatti.

Le Vénitien travaille également aux côtés de l’architecte Carlo Mollino, qui se voit confier la reconstruction du Teatro Regio à Turin dans les années 1970. Il conçoit l’ensemble des sources lumineuses, ainsi que l’impressionnant dispositif de la salle de spectacle, comprenant plus d’un millier de tubes de perspex. “Je voulais avoir un éclairage, ni au plafond, ni en bas. Où ? Dans l’air.” Tout simplement.

Gino Sarfatti voit son œuvre honorée par plusieurs récompenses lors de sa carrière : le “Grand Prix” de la Triennale de Milan en 1954 pour les modèles 1063, mais aussi par l’illustre Compasso d’Oro ADI, la même année, pour le modèle 559. Il l’obtient également en 1955, pour le luminaire 1055. En 1973, il vend Arteluce à Flos et se retire sur les rives du Lac de Côme.

Une retraite bien méritée pour celui qui avait déclaré, peu de temps avant sa mort, le 6 mars 1985 : “Je ne me suis jamais intéressé à la forme, sauf à celle de l’ampoule à partir de laquelle je dois créer une terminaison, un soutien. Nous n’avons absolument pas besoin d’avoir tant de lampes.” Un comble pour celui qui en a développé quelque centaines de modèles !


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