Amoureux du bois, Pierre Chapo a repoussé les limites de la technique tout au long de sa carrière pour dessiner un style brut inimitable que les initiés s’arrachent désormais. S’il est peu connu du grand public, IDEAT rectifie cette injustice et vous raconte son histoire.
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Né le 23 juillet 1927 à Paris, dans une famille d’artisans, Pierre Chapo fait sa première rencontre avec le bois et la matière dans l’atelier d’un charpentier de marine. Étudiant aux Beaux-Arts quai Malaquais, où il intègre la section architecture en 1950, il multiplie les petits boulots, comme dessinateur d’enseignes et de guides touristiques.
L’homme est aussi féru de voyages car ils forgent sa personnalité. Ainsi, à 21 ans, il quitte l’Hexagone pour l’Angleterre puis la Scandinavie, qu’il arpente de juin à septembre 1951. Pour financer son voyage, il offre ses services à diverses agences d’architectures en Suède et en Finlande : l’occasion pour lui d’approfondir son goût pour le travail du bois et de s’initier à de nouvelles techniques.
De retour en France, il rencontre sa compagne de toujours, Nicole Lormier, peintre et sculptrice. À ses côtés, il se lance dans une série de pérégrinations : le 5 août 1955, ils embarquent tous les deux pour l’Amérique du Sud.
Tandis que Pierre est fasciné par la variété architecturale, les vestiges espagnols, les temples mayas et aztèques qu’il photographie, Nicole se passionne pour les coutumes des pays qu’ils visitent à bord de leur Ford T. Après le Guatemala et le Mexique, ils se rendent aux Etats-Unis. Amoureux des paysages arides et majestueux de Tucson, ils poursuivent leur route à Tombstone et Los Angeles. Tous deux sont hypnotisés par cet Ouest américain de carte postale, avec ses cowboys, ses spectacles de rodéo, ses nuits à la belle étoile … et ses grillades de chair de serpent.
A la rencontre de Romain Gary et de Frank Lloyd Wright
En 1956, leur chemin croise celui de grandes personnalités : Paul Coze, ethnologue connu pour son travail sur les tribus amérindiennes, (la légende voudrait que la structure en tipi du fauteuil S23 soit un clin d’œil au chercheur) mais aussi Romain Gary.
A Salt Lake City, ils découvrent le travail de Frank Lloyd Wright, figure tutélaire de l’architecture américaine, qui a une influence certaine sur l’œuvre de Pierre Chapo. 1956 est aussi l’année de naissance de leur premier enfant, Nicolas.
Reprenant leur périple vers le nord, la petite famille sollicite des télévisions américaines pour proposer des reportages mais les chaînes ne répondent pas. Ils reprennent alors la route vers New York où ils découvrent avec plaisir la monumentalité des gratte-ciel avant de rentrer en France.
La société Chapo, bureau d’étude en architecture et cabinet de décoration d’intérieur, naît en 1957. Il ouvre ensuite une galerie au 14 boulevard de l’Hôpital. En plus de son travail, Pierre Chapo y présente notamment les lampes d’Isamu Noguchi. C’est à cette même époque que le designer façonne ses premières réalisations. Son atelier s’installe à Clamart, dans les locaux de l’entreprise appartenant au père de Nicole. Parmi ses premiers clients, la société compte l’écrivain Samuel Beckett.
Amateur des lignes du Bauhaus et de celles de Frank Lloyd Wright, tout en adhérent aux recherches du Corbusier sur le nombre d’or, Pierre Chapo dessine un mobilier qui répond aux impératifs fonctionnalistes de la vie domestique moderne en portant une attention particulière à l’artisanat traditionnel.
Amateur de structures innovantes, il dépose, en 1964, un brevet baptisé « 48×72 ». Celui-ci repose sur l’assemblage de pièces de bois de tailles différentes ayant la même épaisseur et les mêmes extrémités, découpées sur le type « 48×72 ». Une technique qui permet de moduler les emboîtements afin de créer des structures et des volumes à volonté.
Innovations techniques
Coup dur deux ans plus tard quand le duo est menacé d’expropriation. Les Chapo quittent Clamart pour s’installer à Gordes dans le Luberon. Pierre lance la deuxième collection “Chapo”, pour laquelle il met au point des piétements de table en faisceau, notamment les T 21 et T 35, mais aussi pour des assises, avec les S 31 et S 34. Collaborant avec des éditeurs alsaciens, il revisite du mobilier traditionnel, comme le montrent les assises S 28, S 35 et S 38 … Des meubles complexes, qui deviendront des pièces d’avant-garde.
Toujours soucieux d’innover techniquement, Pierre Chapo développe sa propre technique de bois abouté. Traditionellement, elle consiste à fabriquer des panneaux à l’aide de pièces de bois rectangulaires mais le designer détourne la méthode et utilise plutôt des pièces carrées, avec des longueurs différentes, permettant d’augmenter leur résistance et d’offrir une nouvelle esthétique. Le système Chlacc (Construction homogène lamellée assemblée collée clouée) est née et donne lieu à une collection du même nom en 1979, qui rencontre un franc succès.
Dans les années 80, Pierre Chapo est l’un des premiers à utiliser un outil informatique qui prend le relais alors que la maladie de Charcot dont il souffre diminue ses capacités. Il donne naissance à la collection Go, et à la technique du même nom, qui permet de développer des profilages d’angles et de tranches de panneau d’une grande finesse.
Le designer français s’éteint en janvier 1987, laissant derrière lui une carrière singulière, en phase avec son temps, et ponctué d’innovations.
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