Oui, ce designer fait des meubles en pâte à modeler

Avec ses meubles en pâte à modeler, Diego Faivre, designer Français basé à Amsterdam, impose son univers enfantin et coloré dans le monde du design.

Au lycée, Diego Faivre utilise les tableaux repérés dans les beaux livres du Centre de Documentation et d’Information de son établissement pour expliquer certaines thèses philosophiques. Un premier contact avec l’art qui lui donne des idées pour la suite. “A la fin du secondaire, j’étais un peu perdu. J’ai travaillé comme livreur de paquets dans une usine de métallurgie et dans la restauration, mais l’art m’attirait.” S’il n’a jamais suivi un cours de dessin, Diego se jette à l’eau. Lors des entretiens pour entrer en classe préparatoire, les jurés s’étonnent qu’il n’aille pas au musée. “Beaucoup ne se rendent pas compte que c’est difficile quand on vit dans un désert culturel. J’ai grandi dans un petit village de 500 habitants près de Châtellerault et là-bas, il n’y a rien à part Le Grand Atelier, musée consacré à l’auto, à la moto et au vélo. La vie d’artiste paraît très lointaine.”

Fauteuil en pâte à modeler fabriquée en 912 minutes par Diego Faivre.
Fauteuil en pâte à modeler fabriquée en 912 minutes par Diego Faivre.

Même son père commercial et sa mère infirmière libérale ont du mal à voir les débouchés de ce type d’études. Décidé, il est tout de même pris pour une mise à niveau à Bordeaux et quitte sa campagne natale. N’accrochant ni avec le mode de fonctionnement ni avec la manière d’enseigner dispensée dans l’école, il décide rapidement de renoncer et s’envole en 2014 étudier à la Design Academy d’Eindhoven, aux Pays-Bas. “Je n’avais certes pas le niveau de certains étudiants, mais j’ai toujours pallié mes lacunes grâce à mon esprit et à mon humour.” Désireux d’arrêter de fumer, il consacre ses pauses à la confection de meubles à partir de chutes de bois récupérées dans l’atelier. “Un jour, un professeur a voulu m’acheter une de ces tables et je lui ai répondu : “j’y ai passé 14 minutes, je vous la vends 14 euros.”” Un principe qui régit encore sa pratique aujourd’hui.


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La pâte à modeler à la rescousse

Selon la designer Florence Doléac, chez qui il fait un stage, cette idée est ancrée dans son passé, à la fois professionnel, à travers son expérience à l’usine où on lui a imposé un certain rythme, et familial, quand son père précisait sans cesse le nombre de minutes passées à cuisiner une tarte. Peu à peu, ce projet de meubles à la minute mûrit dans l’esprit du jeune Français. Pourtant, Diego se heurte à un problème de taille : si le concept est intéressant, le résultat final est peu séduisant. “Je suis un piètre artisan, même si je construis des choses solides : je n’ai jamais eu la rigueur de soigner les finitions de mes objets.” La solution tombe par hasard sur les genoux de Diego, alors en voyage en Chine près de Shanghai. “A mon arrivée, je me suis rendu dans un magasin de fournitures artistiques et mon œil a de suite été attiré par de gros sachets colorés. Je ne savais même pas de quoi il s’agissait, mais ces paquets me captivaient.” Le début de son histoire de cœur avec la pâte à modeler. Bien différente de notre Play-Doh composée principalement de farine de blé et de kérosène inodore qui, une fois sèche, craquèle et voit ses couleurs s’amochir, cette version asiatique, fabriquée à partir de fécule de pomme de terre, de glycérine et de vinaigre reste lisse et vive. 

Le petit déjeuner en pâte à modeler de Diego Faivre.
Le petit déjeuner en pâte à modeler de Diego Faivre.

Naturellement, le trentenaire recouvre de cette matière agréable ses “meubles moches”. Il affectionne sa facilité d’emploi et sa palette de couleurs fortes. Comme s’il s’agissait de peinture en 3 dimensions, il en applique des couches successives jusqu’à trouver la teinte qui lui plaît, le bon motif et la bonne texture, transformant le volume de l’objet initial. Des meubles et des tabourets façon Wallace et Gromit IRL, sortes de jouets enfantins grandeur nature et aux totalités pop. « Les nuances que je choisis pour mes pièces dépendent beaucoup de mes humeurs. En Suède, je préférais les tonalités proches de la nature, des forêts, des feuilles, des ruisseaux, des camaïeux de vert et de bleus. Une fois, de passage à Bruxelles, j’ai commandé de la pâte d’un rouge très agressif. Quand je l’ai reçue quelques semaines plus tard, je me suis demandé ce que j’allais en faire, ça ne correspondait plus à ce que je ressentais à ce moment. Le noir, le gris et le blanc ne m’attirent pas. Pendant un temps, j’ai voulu me mettre dans la peau d’un poète torturé en utilisant du noir Jai arrêté instantanément car cela ne me ressemblait pas du tout ! »

La chaise en pâte à modeler de Diego Faivre.
La chaise en pâte à modeler de Diego Faivre.

 Ses meubles minutes Diego Faivre

Pour l’exposition mettant en scène les projets de fin d’étude des étudiants, il monte sa “Minute Manufacture”, son usine à la minute. Une vraie performance pendant laquelle, chaque jour, il crée de 10 heures à 18 heures des chaises et des tabourets recouverts de pâte à modeler. “J’avais même confectionné une machine de laquelle un euro tombait à chaque minute travaillée ! Ce projet à attirer beaucoup d’attention. Un sentiment de légèreté planait. Les visiteurs m’observaient travailler, composer avec la couleur, recouvrir des objets, et ça les rendait heureux. Un an plus tard, en 2019, les compositions de Diego Faivre prennent une autre dimension lorsqu’il décide de les protéger d’un vernis brillant anti UV, créant un effet de confusion. Personne ne sait sur quel pied danser : est-ce de la céramique et de la pâte à modeler ? “L’engouement pour mon travail a pris davantage d’ampleur quand j’ai commencé à vernir mes pièces”, avoue le designer basé à Amsterdam. 

L’usine à la minute, exposition de fin d’études de la Design Academy d’Eindhoven en 2018.
L’usine à la minute, exposition de fin d’études de la Design Academy d’Eindhoven en 2018.

Diego Faivre joue sur les échelles. D’un côté, l’escalier de 20 mètres de haut d’un bâtiment futuriste des années 80 dont il recouvre les barreaux de pâte à modeler à l’occasion de la Design Week de Vienne de 2019. De l’autre, des coquetiers, des tasses à café et autres faux œufs au plat. Conservant son modèle d’origine, chaque pièce est vendue 1 euro la minute, en fonction du temps passé à la réaliser. Le temps, c’est de l’argent. Le fauteuil Hippo à 2154 minutes (donc euros), des tabourets à 246 minutes, mais aussi d’autres petits objets confectionnés en 10 minutes. Soit des clés USB, des gyrophares ou encore des katanas en plastique recouverts de pâte à modeler vendus dès janvier dans un pop up façon boutique discount à prix unique. De quoi mettre la main sur ces objets qui ont gardé un esprit d’enfant.


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