Le voyage que vous rêvez de faire ?
Oliviero Toscani : J’aimerais bien aller en enfer, mais sans y rester. Enfin, si c’est intéressant, je peux m’y installer quand même ! En fait, j’aime mieux cela que de m’ennuyer au paradis.
La ville la plus photogénique ?
Une cité fantasmée sur Pluton, une planète naine.
Où sont vos racines ?
Je viens du ciel et je ne me sens aucune origine. Certes, je suis né à Milan, mais je suis chez moi partout, à la campagne comme à la ville, à Trévise, à New York, dans une petite bourgade toscane ou à Paris.
La personne que vous adoreriez photographier ?
Si ce n’est Dieu, ce sera donc le diable !
L’aéroport que vous évitez ?
On ne choisit pas une destination en fonction de l’aéroport qui la dessert. Une chose est sûre, voyager en avion de nos jours est détestable. Si je fais le compte, je pense avoir volé plus longtemps qu’un pilote professionnel. J’ai débuté ma carrière de photographe en 1962 en remportant un concours pour la Pan Am. Depuis, j’ai fait le tour du monde plusieurs fois. Je me suis vraiment rendu partout, grâce à mon travail. Je prends en moyenne deux avions par semaine, j’ai 77 ans, je vous laisse calculer… Quelques jours sans bouger et je me lamente de vieillir ou de ne pas travailler assez. C’est presque une drogue !
Vous souvenez-vous d’une anecdote ?
Un jour, en Norvège, alors que je me trouvais à bord d’un DC3 – un vieux bimoteur à hélices –, l’un des deux moteurs a pris feu peu après le décollage. Au milieu des turbulences qui devenaient rapidement inquiétantes, avec des objets qui se baladaient partout dans la cabine, j’ai été pris d’un irrépressible fou rire. Allez savoir pourquoi, mais c’est ma façon de réagir face à un événement incontrôlable. Et quand j’ai dit au prêtre qui hurlait assis à côté de moi qu’il devait se réjouir d’arriver aussi vite auprès de Dieu, il m’a regardé comme si j’avais perdu la tête.
Vos dernières destinations ?
La Sardaigne, New York et Paris.
Dans votre valise, qu’emportez-vous ?
Je voyage léger. Pas de bagage en soute. Juste un sac et c’est tout. Une astuce pour combattre le jet-lag ? Quand je me pose à New York à midi, par exemple, je vais directement au studio pour travailler. Éviter de penser au temps perdu en avion est la meilleure parade.
Le désagrément du voyage aujourd’hui, selon vous ?
L’enregistrement, la multiplication des contrôles et toutes ces procédures contraignantes qui ont été mises en place après les attentats du 11 septembre 2001.
Votre maître absolu en photographie ?
August Sander, un artiste allemand mort en 1964 à Cologne. Il s’est intéressé à la société allemande, ses métiers, ses catégories sociales, dans la première moitié du XXe siècle. Un regard incroyable, très fort.
Les valeurs que vous souhaitez partager à Venezia Photo ?
J’invite à réfléchir sur l’acte même de photographier, sur le fait d’avoir un point de vue, une vision critique des choses et de l’exprimer. Cela va bien au-delà de simplement tenir un appareil photo. Documenter le réel, la guerre, faire le portrait de quelqu’un ou de quelque chose sans parti pris ni angle ne présente que peu d’intérêt. Le photographe moderne est un auteur qui conçoit une histoire et élabore un scénario, un scénographe qui choisit le lieu de la séance, un metteur en scène responsable de la coordination et de la réalisation, puis un directeur de l’image et, à la toute fin, un caméraman. Comme un écrivain, il faut inventer ou imaginer ce que l’on va photographier.
L’endroit de Venise dont vous ne vous lassez jamais ?
Je connais bien Venise, mais j’ai l’impression d’être né trop tard pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. Un peu comme avec Brigitte Bardot, qui fut une icône planétaire alors que j’avais à peine 20 ans. Venise, c’est une gloire passée, tellement abîmée par le tourisme. Heureusement, Venezia Photo sait se tenir à l’écart de cette agitation folle.
La ville la plus excitante du moment ?
Mexico. L’enfer et le paradis réunis. Un bouillon de culture et de création extrêmement inspirant.
La ville, le pays ou la culture que vous rêvez de découvrir ?
Partout, tout le temps, des cultures se singularisent. En ce moment, l’Amérique latine m’attire beaucoup. On perçoit un nouvel élan en Colombie, en Uruguay et au Mexique.
La meilleure façon de déconnecter ?
C’est de penser à quelqu’un ou à quelque chose.
Un livre photo indispensable ?
The Americans, de Robert Frank. Ou New York 1954-55, de William Klein. Ou Il Cretto di Burri, le livre que j’ai eu le plaisir de faire (collection Fashion Eye / Louis Vuitton) sur l’immense oeuvre de land art réalisée par Alberto Burri pour commémorer le séisme meurtrier de Belice, en Sicile, survenu en 1968.
L’hôtel où vous vous sentez chez vous ?
L’Hotel California, des Eagles ! (rires) Mais disons que Paris est ma ville de cœur. Le mélange des ethnies, des cultures, des couleurs, des épices… Je m’y sens chez moi. D’ailleurs, j’ai un appartement dans le XIVe arrondissement. La mixité est quelque chose dont j’ai infiniment besoin.
Votre moyen de locomotion préféré ?
La voiture, quand je suis seul sur la route. Mais j’aime également monter à cheval, soit chez moi en Toscane, soit aux États-Unis, dans le Montana, en Utah ou dans le Wyoming. Là, dans le sud-est du parc national de Yellowstone, il existe une réserve partagée par deux tribus amérindiennes, Wind River Country, où l’on peut vivre dans des paysages « bigger than life » (« plus grands que la vie », NDLR).
L’appareil photo qui ne vous quitte pas ?
Je ne suis pas fétichiste. J’ai été parmi les premiers à passer de l’analogique au numérique. La pellicule, le développement, la chimie, tout ça, c’est primitif. Aujourd’hui, je trouve le téléphone portable fantastique. La technologie est un instrument, pas une façon de penser plus intelligente.
Quel regard posez-vous sur les réseaux sociaux ?
L’aspect positif des réseaux sociaux, c’est qu’ils répertorient les imbéciles par ordre alphabétique. Facebook, Twitter ou Instagram sont des annuaires géants ! Mais, croyez-moi, on peut avoir des comptes à son nom et être totalement impotente (« impuissant », en français). Plus sérieusement, mon assistant gère tout ça très bien pour moi.
Vos photos sont résolument politiques… À propos de la campagne Benetton de 2018 montrant des migrants secourus par l’Aquarius, avez-vous été déçu par le désaveu de l’association SOS Méditerranée ?
Oui, bien qu’elle se soit ensuite excusée de manière totalement hypocrite. Car, dans le monde actuel, tout est politique. Une crise migratoire qui fait 40 000 morts en Méditerranée, c’est une honte pour l’humanité, et on ne peut pas rester sans rien faire. Comme pour Auschwitz, que répondrons-nous à nos petits-enfants quand ils nous questionneront sur notre silence et notre inaction ? Je préfère être taxé de provocation que de collaboration !
Une image clé de votre panthéon personnel ?
Une photo dont August Sander m’a fait cadeau : un jeune maçon, face caméra, qui porte des briques sur ses épaules. Selon moi, c’est la représentation parfaite de la condition humaine.