Dans nos villes, les objets du quotidien, des bacs à fleurs aux bancs de jardin, changent progressivement de statut. À la croisée du design, du lien social et de l’écologie, ils deviennent des marqueurs urbains à part entière. Alors comment concevoir ces éléments pour qu’ils fassent davantage que remplir une fonction ? Qu’ils soient porteurs de sens, d’attention et de mémoire ?
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Studio 5.5 : pionniers du design citoyen
À rebours d’une logique purement fonctionnelle ou industrielle, certains designers défendent une approche sensible et collaborative. C’est le cas du Studio 5.5, qui revendique une posture de « design citoyen », proposant des projets responsables et durables, comme l’explique Anthony Lebossé, co-fondateur du studio. Ils souhaitent concevoir du mobilier urbain pour le plus grand nombre, dans une dynamique d’intérêt collectif. Dans le cadre de la 3ᵉ Biennale d’architecture et de paysage, qui se tenait du 7 mai au 13 juillet 2025 à Versailles, l’exposition « Nous… le climat », organisée au sein du Potager du Roi, invite à s’interroger et à échanger autour des questions climatiques. La scénographie, pensée par le Studio 5.5, comprend une table jaune de 300 mètres de long, où architectes, designers, citoyens, jardiniers, urbanistes et élus s’y rencontrent physiquement et symboliquement, invités à penser ensemble la transition écologique.
Bien que cette posture soit de plus en plus affirmée et portée par un nombre croissant de professionnels, elle reste encore marginale dans un paysage largement dominé par les contraintes : appels d’offres normés, réponses industrielles sur catalogue, budgets serrés, calendriers politiques… Nombre de collectivités se tournent encore vers des solutions standardisées, au détriment de la qualité d’usage, de la cohérence urbaine ou encore de la portée symbolique des objets.
La question des matériaux devient aussi un levier majeur de transformation. Dans le Village olympique de Paris 2024, le Studio 5.5 et l’agence TER ont imaginé une gamme de mobilier conçu en réemploi à partir d’anciens lampadaires routiers ou même de tubes d’échafaudage. Les équipements réalisés ont été pensés pour durer, être réparables et porter une esthétique sobre mais singulière. Une démarche qui dépasse la seule performance technique : il s’agit de concevoir une matérialité responsable, incarnée, qui dialogue avec les bâtiments éco-conçus qui les entourent.
Le mobilier urbain devient récit
D’autres démarches, en France et ailleurs, vont dans ce sens. Le collectif YA+K et Bellastock, par exemple, travaillent aussi sur des formes de mobilier léger, modulable, souvent issues du réemploi ou de chantiers participatifs. Dans des dispositifs parfois plus éphémères, mais tout aussi structurants, l’urbanisme tactique a ouvert une brèche : celle d’une ville qui s’adapte, expérimente, et dans laquelle les objets peuvent accompagner les mutations d’usage, de comportement et de regard.
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Reste enfin la question de la visibilité de ces objets. Faut-il que le mobilier s’efface pour mieux s’intégrer ou qu’il affirme une identité propre, capable de raconter un lieu, un usage, une époque ? Pour le Studio 5.5, la réponse se situe dans un équilibre subtil : la cohérence ne signifie pas l’effacement, bien au contraire. Une colonne bien dessinée, un banc accueillant, un lampadaire qui évoque son territoire sont autant de façons d’habiter mieux nos espaces publics. Anthony Lebossé cite, à ce titre, la station de tramway Comédie à Montpellier. Dessinée avec l’agence TER, cette station a été requalifiée en un seuil urbain lisible et sobre, dialoguant avec l’architecture de la ville, notamment par l’évocation des colonnes néoclassiques montpelliéraines.
Ce que soulignent ces approches, c’est qu’il est possible — et nécessaire — de réinscrire une réelle démarche de projet dans ces objets modestes. De les penser non comme de simples réponses techniques, mais comme des supports de récit, d’appropriation, de rencontre. Des outils d’hospitalité silencieuse, capables de révéler un lieu, d’en prolonger l’histoire ou d’en engager la transformation.
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