Plus question de vaisselle en plastique imitation porcelaine traditionnelle et de sets en bambou fatigués : la nouvelle vague sino-gastronomique soigne son style. Place à des cartes affûtées, des cuisines ouvertes et une esthétique ciselée entre néo-kitsch assumé et minimalisme zen. Une jeune garde de chefs, d’architectes et de designers s’allient pour revaloriser les traditions avec panache. Loin de l’image poussiéreuse des petits bouibouis, deux grandes tendances se dessinent sur la scène culinaire chinoise contemporaine. Audace du kitsch pop versus sobriété de la ligne : deux visages d’un design réinventé.
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Rétro kitsch pop et assumé
Inspiré des références populaires de la diaspora chinoise et des intérieurs des dramas télévisés, le rétro-kitsch ne se contente plus de faire dans le clin d’œil nostalgique. Il devient un langage visuel à part entière. Les codes du « mauvais goût » d’hier – plastique, couleurs criardes, accumulation graphique – sont détournés entre hommage et satire pour créer des décors ultra-léchés. Le dragon devient logo stylisé, les lanternes se transforment en suspensions arty et l’esthétique Chinatown se recycle en codes visuels bien sentis. Mais derrière l’ironie, une vraie maîtrise du décor : chaque motif, chaque couleur, chaque typo surjouée est pensée comme un geste graphique. Le kitsch, oui, mais millimétré, comme un ravioli parfaitement plié.





Céline Chung, à la tête de la Bao Family, maîtrise l’art du trop-plein, transformant chaque excès déco en clin d’œil bien dosé. Son idée ? Créer des univers immersifs, sans tomber dans le cliché figé : « Il faut du contemporain, que les gens aient confiance », explique-t-elle. Résultat : chez Gros Bao, les poissons rouges barbotent sur le papier peint des toilettes, les menus-photo façon traiteur s’affichent en version XXL à Marseille et le bleu porcelaine de Ming se frotte aux baguettes jaune fluo chez Bleu Bao.
Chaque lieu naît d’un souvenir ramené de ses virées en backpack en Chine : « Je commence par une impression, un souvenir, puis je creuse », sourit-elle. Rien n’est laissé au hasard : même les 200 lampes en plastique de Gros Bao ont été dénichées à Hong Kong, à quatre mains avec les architectes de Mur.Mur. « On puise aussi dans l’univers du cinéma, en cherchant à recréer une énergie, une poésie visuelle, souvent à travers le travail de la lumière », glisse-t-elle, ses croquis à la main. Et les cinéphiles ne s’y trompent pas : entre néons brumeux, miroirs démultipliés et teintes saturées, l’ombre de Wong Kar-wai – Chungking Express, In the Mood for Love – plane sur les lieux.







Minimalisme inspiré
Quand certains assument l’exubérance rétro, d’autres préfèrent la discrétion d’un minimalisme inspiré. L’Asie se devine ici dans la pureté des lignes, la douceur des matières naturelles et l’équilibre des volumes, entre zen japonais et rigueur des salons de thé chinois.
Ainsi, ne parlez pas de Maneki-neko (ces fameux chats dorés qui vous saluent) à Régis Botta, l’architecte derrière Baobar et Suzie Wong : « J’aime travailler ces codes culturels sans les surligner. Je préfère suggérer que montrer, épurer au maximum. » Au Baobar, il revisite les mythiques portes de lune sous forme d’arches rouges, qui rythment l’espace et tranchent avec les murs grattés laissés nus. Bois clair, pierre brute, béton lissé : l’architecte tisse un univers sensible associé à des couleurs fortes et emblématiques. Chez Suzie Wong, il imagine ainsi une cantine néo-rétro années 70, dont le plafond en cannage fait toute la différence.




Et dans ce nouvel écrin esthétique, la cuisine chinoise, longtemps cantonnée à une version francisée et standardisée, retrouve enfin toute sa richesse : sichuanaise, shanghaïenne… Finis les rideaux tirés : les cuistots wokent en pleine lumière, les fours vapeur venus de Taïwan brillent côté salle. Une transparence assumée, qui fait sauter les clichés.
Ce retour en force d’un design sino-inspiré, à la fois décomplexé et exigeant, accompagne une dynamique plus vaste : celle de la diaspora asiatique qui se réapproprie ses racines en refusant les caricatures. Ces lieux racontent une histoire, souvent intime, mais toujours tournée vers l’avenir. La gastronomie chinoise y trouve une nouvelle scène, où l’architecture intérieure se mêle à l’audace culinaire pour offrir des expériences qui dépassent largement l’assiette. Affaire à suivre.
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